Rambo, c'est une pédale !
J’adore Tango & Cash. C’est un d’ces documentaires sur les années 80 dont j’raffole. Un d’ces films qu’on essaie d’honorer aujourd’hui en créant des orgies de lasers, de synthé, de cuir et de dinosaures sans jamais s’en rapprocher vraiment. Tango & Cash c’est une mise en scène de clip baignée aux néons laiteux et aux nappes de fumée blanchâtre, c’est une compétition capillaire et vestimentaire, un festival de chaînes en or ondulant sur des corps musculeux, c’est des méchants qui se regroupent en cercle dans l’obscurité en silhouettant leurs costumes immaculés sur des arrières plans ténébreux pour ruminer leurs stratagèmes machiavéliques en agitant leurs doigts crochus, c’est des scènes de toilettes publiques et de douches de prison, c’est des flingues improbables et des voitures futuristes. Tu peux pas retrouver un Tango & Cash aujourd’hui, ce film est bien trop persuadé de ce qu'il raconte pour pouvoir être reproduit ne serait-ce qu’à moitié dans une époque où chaque film te rappelle qu’il sait qu’il est mauvais pour se libérer de tout préjudice.
- On t'encule !
- J'préfère les blondes.
Parce que Tango & Cash propose quelque chose de tout à fait sérieux quand il lance un complot anti-flics dans un univers qui prend soudainement des atours post-apocalyptiques. C’est précisément là qu’il devient immédiatement intemporel et merveilleusement savoureux, en équilibre instable entre le bon buddy movie et le nanar insondable, entre la déconnade franche et le délire aux frontières de la honte. Tango & Cash c’est certes des blagues en cascade, des répliques enjouées et autres sentences en folie qu’on oserait plus trop d’nos jours (“Donne moi un nom pue d’la bouche ou j’te renvoie dans ta putain d’Angleterre dans un sac en plastique !”), mais c’est aussi une prison-taudis de rouille baignée dans les ordures et les flammes, habitée par des résidus d’êtres humains à mi chemin entre la hyène et le babouin, dans laquelle rentrent les deux compères enchaînés comme des erres égarés dans le domaine d’Hadès (ça y est, c’est l’moment où je quitte délibérément toute notion de mesure).
La patte inimitable des années 80 te transformait n’importe quelle production surgonflée en escapade de l’apocalypse, et douillettement vautré dans cette décennie bouillonnante, ce film est délicieusement hybride, entre la comédie d’action toute bâtie en duel de vannes et le fantastique nettement plus sombre saveur cuir, chaînes et crasse, le tout modelant une faune braillarde des bas fonds tout droit sortie d'un dérivé de Ken le survivant. Braver à ce point les frontières du ridicule tout en gagnant l’affection d’un public parfois sceptique, c’est bien là le gage d’une qualité imparable nan ? Bien sûr tu penses que j’me fous potentiellement de ta gueule ou que j’me laisse submerger par un enthousiasme libéré de toute retenue, on parle de ce truc rigolard à base d’action heros bien bourrins mais non, pas complètement.
Faut voir Kurt et Sly hurler en conduisant leurs scrapeurs (c’est les gros machins jaunes qu’ils pilotent à la fin, j’me permets d’vous en informer, je n’sais pas moi-même d’où je tiens cette info et à quoi servent normalement ces engins) contre les motos-cross, les monsters trucks et autres caisses en taules échappées de Mad Max dans un terrain vague imaginé comme une arène de Death Race 2000 pour se convaincre de l’honnêteté dévouée du chef d’oeuvre. On est même pas loin de se dire que quand même, “Rambo, c’est une pédale”. C’est gras et subtil comme un troupeau de cachalots et crois bien que même les baleines savent être gracieuses dans ces offrandes de scènes semblables aux fantasmes d’un gosse ressortant son coffre à jouets pour organiser un ballet jouissif. Chaque scène du film est à cette image, enfantin et joyeusement balourd, à la limite de l’indulgence même du plus crédule, et l’ensemble finit par développer un redoutable potentiel sympathie dans tout cet enthousiasme naïf et libéré.
Et puis reste que tout argument est inutile quand on parle tout simplement d’un film mettant en vedette Sylvester Stallone et Kurt Russel, y a des aliénés comme moi qui se contenteraient bien de ça pour déclarer là une perle cinématographique. Sly et Kurt, tu te doutes immédiatement de la nature du film culte, crois moi bien. Le premier seul debout au milieu d'une autoroute, face à un camion citerne fou, le second armé avec des jouets luminescents ou travesti sur une grosse moto ronflante, même dans le monde du buddy movie, ça sonne déjà moins comme Mel Gibson et Danny Glover que comme Van Damme et Van Damme, mais c'est tout sauf un problème. Chaque réplique est au moins légendaire de par le monde et les galaxies environnantes et la plupart du temps clamée par un type fagoté par une décennie reniflable à des kilomètres, que ce soit dans le souffle des ventilateurs d’une boîte de striptease, sous les lampadaires des ruelles nocturnes, au fond de boyaux carcéraux ou au volant d’un bolide tout terrain à mitrailleuses rotatives, le tout toujours accompagné des notes d’Harold Faltermeyer. C'est l'amitié des 80's, le costume cintré qui devient le meilleur pote du blouson-jean-santiags sous le feu de gros canons mitrailleurs, aidé de quelques bourrades viriles et blagues pataudes. Et oui, oui oui, c'est irrésistible.