A travers une vaste galerie d'officiers, de sous-officiers et de simples soldats, le film brosse un panorama assez réaliste de ce que pouvait être une garnison américaine à la veille de Pearl Harbor, mais en même temps, c'est une virulente critique de l'armée US, de la psychologie des militaires, de leur ivrognerie chronique, des corvées stupides pour brider un homme, et de tout ce qui se passe dans une base militaire, car le film, même s'il comporte une grande scène finale d'attaque japonaise qui décidera l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1941, reste avant tout attaché aux personnages et ne peut pas être considéré comme un film de guerre traditionnel.
Ces personnages sont un peu conventionnels, et l'intrigue est très hollywoodienne, mais la proximité de la guerre domine tout le film et on sent l'imminence du danger. Chacun va alors tenter de vivre une ultime fois pour se prouver qu'il existe en ne sachant pas quel sera l'avenir. Les personnages vont se jeter dans l'action avec la frénésie du désespoir, à l'image des amants maudits incarnés par Burt Lancaster et Deborah Kerr, dont la scène de baiser dans les vagues est restée célèbre et même parodiée, notamment dans Shrek 2 ; cette scène fut jugée trop érotique et scandaleuse en 1953, et faillit être supprimée par la censure américaine, pourtant elle est très courte et ne dure à peine que 30 secondes, mais les vagues écumantes font partie d'un symbolisme érotique qui aujourd'hui semblera bien innocent.
L'interprétation est à ce titre de premier ordre, avec un Burt Lancaster en sergent-chef au charme viril, Montgomery Clift en angoissé marqué par le destin, Deborah Kerr en épouse volage d'officier (rôle à contre-emploi), Donna Reed en douce prostituée désenchantée, Frank Sinatra en récalcitrant persécuté par Ernest Borgnine qui compose un réjouissant portrait de brute sadique, implacable et bornée... La carrière cinématographique de Sinatra (qui n'avait jusqu'ici tourné que des comédies musicales) redécolla grâce à ce premier rôle dramatique, et il reçut même l'Oscar du Meilleur second rôle ; on dit même que Coppola s'en est inspiré pour le personnage du chanteur Johnny Fontaine dans le Parrain. Parmi les autres acteurs de complément, on remarque outre Borgnine qui a encore ici un rôle secondaire, Claude Akins, Mickey Shaughnessy et Jack Warden dans des petits rôles avec quelques lignes de dialogue.
Non content de glaner 8 Oscars, ce drame solide remporta l'adhésion du public qui avait déjà plébiscité le roman de James Jones dont le film était tiré ; il fut un peu surestimé en raison peut-être de sa peinture antimilitariste, mais l'aspect humain du propos est important, le film compte quelques scènes d'une force poignante (la scène de la plage, le combat de boxe dans la cour, la bagarre au couteau, la mort de Maggio, la sonnerie aux morts au clairon, le bombardement, la fin absurde de Prewitt, l'épilogue sur le bateau) et il reste encore de nos jours considéré comme un grand classique par de nombreux cinéphiles.