TÁR
6.7
TÁR

Film de Todd Field (2022)

L'austérité du film envers son personnage est la force principale de Tàr. Complètement dénué de tout effet de style pompeux que l'on a tendance à retrouver dans les biopics musicaux, le film s'ancre dans une froideur esthétique qui s'accouple avec l'irrationnel pour décrire plus qu'un personnage en roue libre : le fatalisme de sa chute.


La question du temps qui passe revient très souvent dans ce long-métrage. La musique aurait la capacité de le stopper, de par sa puissance qu'elle dégage et que l'on ressent au travers de cette compositrice. Mais ce temps qui paraît contrôlable ne l'est pas. Et c'est ce qui va conduire Lydia Tàr dans les méandres de son esprit. Au début montrée comme une icône au sommet de son art au travers de très longues séquences la hissant haut. Que ça soit dans une interview, un échange dans un restaurant, ou pendant un cours, la figure de Tàr est démesurément puissante et condescendante. Et c'est réalisé sans le moindre archétype de mise en scène : ce sont de longs plans, à la lumière soignée, au cadre millimétré, et au montage très discret, qui viennent transcender l'aura de ce personnage. Mais le film n'essaie jamais de l'admirer, il le rend au contraire très hostile, dans des sphères de pouvoir glauques, où tout le monde semble agir comme des robots, mot par ailleurs souvent utilisé par Tàr pendant le film pour parler de la nouvelle génération accro au numérique. Une manière de distancier davantage son personnage avec l'époque dans laquelle elle se trouve. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il y a finalement très peu de musique. Il n'y en a déjà aucune qui est extra diégétique : la moindre musique présente est entendue par les personnages et fait partie intégrante des scènes. Aucune musique de fond. Mais pourtant, le souci du détail est primordial à ce niveau-là. Car aucune séquence n'est pour autant totalement silencieuse : le moindre petit détail (une jambe qui bouge, des talons sur un parquet, un métronome, les feuilles qui bougent au vent..) est amplifié et perturbe de façon crescendo Lydia Tàr qui sent comme un espèce d'étau imaginaire se resserrer contre elle.


Et c'est seulement au début de ces perturbations, que ça soit les affaires louches dans lesquelles elle traîne, ou bien cette époque à travers la technologie et le changement d'esprit qu'elle ne comprend plus, qu'on la voit enfin bouger la baguette pour contrôler ses musiciens. La transition des séquences est d'ailleurs d'une très grande puissance tragique : on passe d'un moment calme à un plan en grosse contre plongée, déformant presque le corps de Tàr en pleine action, sur une puissante note qui fait frissoner de par sa dramaturgie. C'est brillant dans le montage. Et donc, sa figure est alors fragilisée dès qu'on la découvre au sommet de son génie. C'est très intéressant de filmer ça comme ça : le "rise and fall" classique que l'on voit souvent dans ce genre de narration laisse place à la compétence de ses personnages principaux. Ici, la musique est presque secondaire, cachée par tout un tas d'autres thèmes qui viennent tâcher l'empathie que pourrait avoir le spectateur pour ce personnage, lui donnant en réalité une mauvaise aura, manipulatrice et presque diabolique. Le film pallie ça avec des relations ambigus et un peu perverses comme celle que Lydia Tàr semble avoir avec son assistante jouée par Noémie Merlant, ou bien de par ses mensonges éhontés pour tenter de gagner de la place au sein d'un orchestre. Certains ont trouvé que c'était trop, et que cela promouvait une sorte de misogynie que de créer un tel personnage. Mais toute la nuance est justement là : en arrivant plus à comprendre l'époque numérique qu'elle subit, ainsi que cette perte cruelle de la sensibilité musicale, elle perd le contrôle d'une autre époque où elle était maitresse de ses actes, mais aussi une star internationale. Je trouve ça fabuleux de filmer ça.


Le film n'hésite pas à laisser place à quelques intrigues secondaires un peu anecdotiques et pas forcément très intéressantes, mais qui amplifie cette perte de contrôle par le biais de quelques séquences oniriques cauchemardesques et presque horrifiques. Sa mise en scène glaçante qui joue sur cette forte austérité, cet état d'esprit réactionnaire, avec cette image toujours très soignée, donne une puissance mystique à tout ce qu'il se passe, à tout ce que Lydia Tàr subit. Elle n'est plus maitresse de rien, et c'est à ce moment là que les petits bruits du quotidien viendront perturber son génie musical, et laisser place à un rythme plus soutenu et portée par une ambiance de thriller. On peut lui reprocher de partir un peu dans tous les sens, et d'avoir des longueurs qui aurait pu être éviter. On peut aussi lui reprocher d'être parfois un peu perdu dans les dialogues si on est pas un minimum calé en musique classique, mais le film met en scène brillamment cette manière d'appréhender l'univers de cette industrie. Fini les paillettes et l'admiration, place à l'ambiance morbide de cette bourgeoisie et à la manipulation par le pouvoir de cette compositrice, interprétée par une Cate Blanchett magistrale.


Pouvoir qui se fait rattraper et se finit en queue de boudin dans un final très perturbant, mais où tout est plus coloré, mais aussi plus pauvre, et où rien n'est conclu. Juste la continuité désespérée d'une personnalité dont la chute était presque une fatalité.

Guimzee
8
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le 25 janv. 2023

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