TÁR
6.7
TÁR

Film de Todd Field (2022)

Todd Fields réalise un film magistral, complexe et totalement réussi dans lequel il traite des effets néfastes du pouvoir sur un individu, montre ce qu’est un chef d’orchestre. En plus de réaliser une mise en scène au cordeau, le réalisateur réalise un travail sur le son remarquable et sait rendre la beauté de la musique classique. L’actrice Cate Blanchett y est absolument prodigieuse.


Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle.


Ce qui est frappant quand on regarde le film, c’est qu’il se construit comme une succession de longues scènes, en tout cas au début. Le film s’ouvre sur une scène de Masterclass passionnante, se poursuit par une scène de restaurant entre deux chefs d’orchestres et l’on voit ensuite Lydia Tár donner un cours dans une université. Et puis, il y a les scènes de répétitions. Ces scènes sont étonnantes, car très bavardes mais très rythmées. Les plans sont larges, les mouvements de caméra amples. En plus d’être formellement accomplies, ces scènes de dialogues sont passionnantes et juste. Le film change en cours de rythme quand le mécanisme s’emballe ou quand il traite de l’intime. Les scènes se font plus intimistes, anxiogènes et les plans sont resserrés.


‘TAR’ est le portrait d’une artiste totale, c’est-à-dire qui ne vit que pour son art : la musique classique. La cheffe est brillante quand elle parle de son métier, quand elle dirige son orchestre. Son interprétation et sa réflexion autour d’une composition est remarquable. Il faut voir le cours qu’elle donne dans l’université et au cours duquel elle sermonne un élève qui n’aime pas Bach, en raison de son comportement avec les femmes. Cette scène n’évoque pas la cancel culture comme certains ont pu le dire mais c’est que la cheffe d’orchestre ne peut pas comprendre ce raisonnement car elle ne voit l’art que par le prisme de la beauté. En revanche, l’intime se révèle plus difficile à vivre. Il est même cauchemardesque. Le moindre bruit l’angoisse, la voisine est spéciale. On est presque dans une ambiance à la Polanski. L’esthétique, les contre-plongées font penser au ‘Locataire’.


Le film dresse remarquablement l’effet néfaste qu’a le pouvoir sur les individus. Le personnage est une femme. Il ne s’agit pas pour Todd Fields de proposer une sorte de miroir inversé en écho aux abus de pouvoir masculins. Mais le choix d’un personnage féminin permet au cinéaste de parler des humains, sans évoquer un sexe plus qu’un autre. Le film montre que l’obsession du pouvoir, qui vient ici de la hantise de la réussite, isole psychologiquement. Lydia Tár n’est pas seule car elle a sa compagne, son orchestre mais elle "pense seule" et ne prend plus les autres en considérations. Elle épuise psychologiquement son assistante, a une relation « fonctionnelle » avec sa compagne. Tout humain est mis au service de la réussite personnel de Lydia. Et quand il perd son utilité, il est éjecté.


‘Tár’ met merveilleusement bien en valeur la musique classique, que ce soit la cinquième symphonie de Mahler ou le superbe concerto pour violoncelle d’Elgar. Grand amateur de musique classique, j’y ai forcément été sensible. Le film met en lumière et filme parfaitement chaque instrument que ce soit la trompette, la harpes ou les violons. On voit comment fonctionne un orchestre avec ses solistes, comment ils votent pour accueillir un nouveau membre. Et puis surtout on comprend ce qu’est un chef d’orchestre. Ce n’est pas un singe qui bouge les bras, mais quelqu’un qui dirige, guide l’orchestre et surtout qui interprète et vit la musique.


Il faut dire que Cate Blanchett est phénoménale. On savait qu’elle était une immense comédienne mais, elle trouve en Lydia Tár l’un de ses meilleurs rôle. Ce n’est pas qu’elle imite une cheffe d’orchestre, ce n’est pas qu’elle joue la cheffe d’orchestre, c’est qu’elle est la cheffe d’orchestre. Elle habite tant son rôle que chaque haussement de sourcil, mouvement de la main est crédible. Face à elle, il y a cette actrice allemande géniale Nina Hoss qui livre, en contraste, une interprétation toute en retenue, mutine et gracieuse.


Todd Fields réalise un vrai coup de maître. Tout est réussi, maîtrisé de l’image au son. Passionnant et complexe, ‘Tár’ est un film totalement accompli. Osons utiliser un terme galvaudé, c’est un chef-d’œuvre.


Noel_Astoc
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les films découverts en 2023 et Les meilleurs films de 2023

Créée

le 7 févr. 2023

Critique lue 81 fois

4 j'aime

2 commentaires

Noel_Astoc

Écrit par

Critique lue 81 fois

4
2

D'autres avis sur TÁR

TÁR
JorikVesperhaven
4

Tartare d'auteur.

Si ce n’est une Cate Blanchett au-delà de toute critique et encore une fois impressionnante et monstrueuse de talent - en somme parfaite - c’est peu dire que ce film très attendu et prétendant à de...

le 27 oct. 2022

91 j'aime

12

TÁR
Plume231
7

Bas les masques !

Il y a une séquence dans ce film qui pulvérise avec brio toute la connerie de la "cancel culture" et des cerveaux lavés qui veulent l'imposer, au cours d'un échange durant lequel le personnage...

le 25 janv. 2023

70 j'aime

17

TÁR
jaklin
8

L'exception inacceptable

Autrefois, on se donnait des frissons avec la peur du grand méchant loup, qui repose sur un mythe puisque les loups n’attaquent pas l’homme, ou celle des sorcières, elles aussi sorties de l’esprit...

le 4 févr. 2023

44 j'aime

76

Du même critique

Spencer
Noel_Astoc
4

Princesse déchue

‘Spencer’ était un biopic qui promettait beaucoup car Pablo Larrain en a réalisé deux, l’un sur l’écrivain Pablo Neruda et l’autre sur la première dame Jackie Kennedy, et Kristen Stewart avait déjà...

le 2 janv. 2022

20 j'aime

2

Alphonse
Noel_Astoc
7

C'est gigolo comme tout !

Sortie en catimini sur Amazon Prime et quasi-unanimement décrié par la critique, la série de Nicolas Bedos vaut pourtant le détour, si l’on se base sur les trois premiers épisodes disponibles. Drôle,...

le 14 oct. 2023

16 j'aime

Les Volets verts
Noel_Astoc
4

Acteur drama-toc

‘Les volets verts’ promettait beaucoup par ses atouts : Simenon, Depardieu, Ardant. En résulte un film dont on pourrait dire qu’il est de « qualité française ». Il est surtout ennuyeux, sans rythme...

le 28 août 2022

15 j'aime

1