En débutant son film par les crédits (pas moins de trois minutes silencieuses, une succession de noms écrits petit sur des panneaux noirs qui défilent habituellement à la fin), Todd Field prévient, Tár est exigeant et requiert toute votre attention.
Sur plus de 2h30, il brosse le portrait de Lydia Tár, une cheffe d’orchestre (fictionnelle) superstar, une sommité dans le monde symphonique, il raconte son règne et sa chute, et un peu de la cancel culture.
Cate Blanchett, immense, vampirise l’écran et campe une anti-héroïne monstrueuse, enivrée par les volutes du pouvoir, un pouvoir dont elle use et abuse sans doute sans même s’en rendre compte.
Que ce soit dans l’exercice de son art ou dans sa vie personnelle, tout semble régi selon sa réussite, ses besoins, ses envies. Jusqu’à ce que le monde, le vrai, se charge de lui rappeler qu’il existe des limites à ne pas franchir, des feux avec lesquels ne pas jouer, des contradicteurs à respecter. Aveuglée par l’immunité dont elle pense disposer, Tár ne voit pas qu’elle amorce un brutal et inexorable déclassement.
Bien que confronté à une personnalité antipathique et clivante, Todd Field évite tout manichéisme et offre un portrait nuancé, sévère sans être à charge. Sa mise en scène rêche, méticuleuse, contraste avec la musique opératique qui innerve le récit, et sert autant à capter le désarroi d’une reine déchue que l’air du temps et les nouvelles règles sociales qui régissent une société éveillée et hyper connectée, prompte à se lever pour protester contre les abus de pouvoir, quels qu’ils soient.
Bien sûr, c’est long. Mais il n’y a pas ou peu de longueurs, grâce à des dialogues aiguisés et un scénario remarquablement construit qui accompagne crescendo la mise au ban de l’artiste. Cate Blanchett y déploie un charisme démentiel, totalement investie dans la composition de ce personnage fictif mais réaliste, traduisant à merveille le sentiment de puissance qu’elle a pu éprouver puis sa perte totale de contrôle. Une masterclass.
Oui, Tár est exigeant, mais méritait bien toute notre attention.