Incursion dans l'heroic fantasy, *The Black Cauldron* est, au cœur des années quatre-vingt, l'une des plus sombres productions des **studios Disney**. Vu à l'époque, son univers de goules et de ténèbres m'a durablement marqué, et le métrage est longtemps resté l'un de mes dessins-animés favoris, développant certainement en grande partie mon goût de l'occulte, des sortilèges et du fantastique. Quête initiatique pour son jeune héros, l'aventure nous conte à travers mille périls combien il faut s'accrocher à ses rêves et savoir les embrasser lorsqu'ils surviennent tout en insistant avec
un grand sens du drame sur les vertus de l'amitié.
Taram, jeune valet de ferme plus enfant qu'adolescent, se rêve héros d'une lointaine guerre évoquée dont il ne verra jamais le front. Mais un mal menace, pire encore que la bataille, et le cochon doué de vision dont il a la charge est convoité par un sinistre Seigneur des Ténèbres : le voilà chargé par son maître de fuir avec le porcelet afin de le mettre à l'abri. C'est le début guilleret et trop insouciant de l'aventure où l'inattention du jeune héros laisse l'animal à la merci de deux monstrueux et terribles dragons. Le cochon est alors en danger, objet des noirs desseins du vilain, et Taram, n'écoutant que ce qu'il prend pour du courage, se jette dans la gueule du crapaud.
Après avoir croisé la route d'une boule de poil répondant au nom de Gurki, il y rencontrera la belle princesse Eilonwy et le vieux barde Ritournelle.
D'inattentions et de prétentions en coups de chance,
avec l'aide d'un joyeux peuple d'elfes, Taram s'apprête enfin à affronter son destin.
L'animation n'est pas des meilleures, les décors semblant par moments bien fades derrière la gloriole colorée des personnages. Pour autant, je garde une tendresse particulière pour cette
production désenchantée et sombre,
notamment à travers la galerie des personnages qui s'y bousculent. Si Taram reste naïf jusqu'à la toute fin de l'aventure, ne comprenant qu'après le sacrifice de Gurki le prix de l'amitié, la force de caractère de la princesse Eilonwy rattrape largement le niveau : héroïne féministe avant l'heure, elle inspire sans le dire le courage émerveillé du garçon de ferme. Tendresse particulière également pour Gurki justement, boule de poil vile et plutôt égoïste qui ne s'attache d'abord qu'à celui-là qui saura le nourrir mais qui finira par offrir sa vie pour accomplir le destin que Taram, tiraillé entre l'urgence de sauver le royaume et la peur de perdre l'amour et son avenir, ne sait se résoudre à embrasser.
Toutes les idées, aussi éphémères soient-elles, amènent là une émotion, un sourire, une angoisse :
le barde dont la harpe trahit chaque mensonge d'un claquement de corde, les trois sorcières dont celle qui ne peut cacher ses espoirs de tendresse derrière la méchanceté de ses comparses, les elfes encore, summum de mignonnerie pour le régal des plus petits dont Ronchon fait le penchant râleur, drôle. Et face à eux, le couple du Seigneur des Ténèbres et de son crapaud de valet, un sorcier décharné aux cornes impressionnantes qui n'est pas sans rappeler le diable du Legend de Ridley Scott, flanqué d'un acolyte aussi ridicule et hargneux que vantard et stupide – une des vraies réussites burlesques du métrage – autour desquels gravitent une horde de braillards patibulaires plus occupés de saouleries que de combats. Tous ces protagonistes font l'aspect heroic fantasy solide, avec tout le plaisir des monstres et autres démons face à l'innocence d'une jeunesse aux rêves illimités mais qui a du mal à les affronter, à les palper.
Derrière, le scénario semble léger, échafaudé sur des circonstances heureuses plus que sur le caractère de son héros, mais c'est aussi cela qui fait le sel aventureux de cette narration : le quatuor à l'œuvre contre les forces du mal semble à chaque instant au bord du précipice,
la menace est constante
et le royaume n'est finalement sauvé que par la soudaine révélation, intense, puissante, d'une amitié hors-norme. Au-delà de ces légèretés, ce que nous raconte le métrage n'est autre que la naissance lente, la préhension inconfortable de l'amitié qui n'existe que par ce qu'on donne à l'autre, le prix du bonheur lié aux sacrifices dont on est capable par-delà ses intérêts personnels et ses propres aspirations.
Presque ignoré, longtemps relégué à la cave des échecs des **studios Disney**, *The Black Cauldron* est pourtant
une puissante évocation, simple certes, du pouvoir de l'amitié
au cœur d'un univers jusqu'alors méprisé par des studios concentrés plutôt sur la couleur que sur l'ombre, et rejoint alors les premiers classiques de Walt Disney – tels Snow White & The Seven Dwarfs ou Pinocchio – où l'innocence affronte les cœurs les plus noirs en s'y laissant séduire avant d'être sauvée par ses amis pourtant délaissés. Malgré ses faiblesses graphiques et grâce à l'absence inhabituelle de ritournelles niaises, The Black Cauldron est une nouvelle et merveilleuse étape dans la tradition disneyenne, qui doit beaucoup de sa réussite à ce
retour aux sources originelles, là au cœur du mal.