Replonger dans Ténèbres plus de 35 ans après sa première vision, c’est à la fois retrouver avec plaisir dans un giallo qui m’a toujours fasciné et faire de nouveau face à un film qui terrorisait le très jeune ado que j’étais. La terreur que ce film m’inspirait demeure en dépit d’un résultat, certes très astucieux, mais loin d’être aussi angoissant que dans mon souvenir. Il faut dire que la sublime musique des Goblin participe à une atmosphère volontiers oppressante, mettant en scène les pulsions des différents personnages. Et puis ce giallo particulièrement sanglant et dérangé est porté par une galerie d’acteurs qui dépasse de loin l’interprétation générale des productions italiennes de ce genre. La présence de trois acteurs confirmés comme Anthony Franciosa, Giuliano Gemma et John Saxon fait forcément une différence majeure avec les giallos de série.


En outre, quand Dario Argento revient, en 1982, vers son genre de prédilection après deux films fantastiques aux allures de contes horrifiques, le giallo est un genre désuet. Les dernières réalisations s’y rattachant ont perdu de leur force et de leur originalité. En en pervertissant certains codes et en poussant le curseur de la violence, Dario Argento donne, en quelque sorte, le coup de grâce à ses imitateurs. Ténèbres, s’il est plus rudimentaire que Les Frissons de l’angoisse, dégage une force graphique qui place le maître au-dessus de la concurrence. Le double meurtre des lesbiennes est ainsi un modèle de terreur, d’érotisme et de violence. Introduite par le thème principal du film, la scène fait monter le suspense à l’aide d’un plan séquence remarquable depuis l’extérieur de l’appartement des deux femmes, les montrant tantôt l’une, tantôt l’autre par le biais des fenêtres. Que dire aussi de la séquence où une jeune fille est poursuivie par un doberman particulièrement agressif qui la conduit à se replier dans la maison du tueur ? Du grand art.


Ces quelques scènes marquantes, à l’image d’un final, certes un peu grand guignolesque, mais qui témoigne de la névrose de l’assassin, font de ce giallo une réussite quasi-totale. Les images du rêve qui hante le tueur manquent peut-être de mystère et la psychologie caricaturale de certaines situations empêchent l’ensemble de cocher toutes les bonnes cases mais on tient là un des meilleurs films de Dario Argento dans une Rome pavillonnaire et dépersonnalisée qui semble abriter un lot innombrable de dégénérés. D’une efficacité redoutable.


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le 30 mai 2023

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