Christopher Nolan a toujours dragué son spectateur dans les eaux tumultueuses de la cérébralité. Le temps, la mémoire, les rêves, la magie autant de notions impalpables productrices d'images fuyantes ou d'illusions. Nolan est-il l'incarnation intellectuelle du divertissement grand public ? Peut-être car sa vision du Septième Art prend à revers celle des autres. Pour Spielberg il faut "croire puis réfléchir ou l'émerveillement précède la réflexion. Pour Nolan il faut "Réfléchir pour être émerveillé". Cela ne peut paraître primordial au premier abord mais les deux accès aux univers sont fondamentalement opposés. Cet effort qui est demandé au spectateur et qui participe à l'envoûtement Nolanien, à aussi son retour de bâton naturel, celui de tenir à distance. Un début d'explication pour tous ceux dont le geste profondément cartésien aux accents scientifiques ne décolle jamais vraiment. Si l'on y ajoute les défaillances techniques relevées ça et là et vrai poil à gratter dans le slip du fan, il y a fort à parier que le nouvel essai conforte chacune des parties.
Oui mais voilà, le réalisateur d'Inception est loin d'être un charlatan et encore moins un sagouin. Car son cinéma d'apparence théorique est aussi à l'image de la science, une véritable attraction Newtonienne envers son public. Réfléchie comme une expérience singulière poussant le principe de divertissement jusque dans la multiplication de ses grilles de lecture - Cooper a-t-il vécu une expérience de mort imminente dans Interstellar ? Batman est-il mort dans The Dark Knight Rises ?, Dans quelle mesure la théorie de la toupie couvre-t-elle le récit dans Inception ? - la filmographie du nouvel élu se construit avec l'idée louable de perdurer dans le temps. Une assise obtenue à force de toujours élever le degré d'exigence. Il serait donc un peu malvenu de voir en Tenet un produit de consommation courant qui demanderait à son audience de regarder vers le bas. Jugeons donc sur pièce la nouvelle composition censée fixer droit dans les yeux les anciennes créations du Maestro.
Derrière sa cavalerie publicitaire, ses velléités intellectuelles et sa soif d'en remontrer au premier péquin entré dans la salle, Tenet se doit d'être jugé le plus objectivement possible sans recourir aux dithyrambes fantaisistes et sans brandir les fourches et les torches sur la place publique. Ceci étant posé, Tenet déploie l'arsenal habituel du bombardier de Dunkerque : Décors en dur synonyme de pérennité visuelle, CGI en retrait, ellipses abondantes, cadre épuré, Imax (pour les chanceux)... Une signature visuelle reconnaissable entre mille attendue à chaque film et fortement acclamée depuis la canonisation du Dark Knight. Plus embarrassant est alors la position que veut faire prendre Nolan à Tenet au sein sa filmographie. À savoir non plus un film à part entière avec sa propre identité mais un segment supplémentaire dans l'élaboration d'un concept certes riche mais traité de manière si froide qu'il en ressort presque une formule algébrique. Pour Tenet, Il convient alors de parler d'une évolution radicale dans le style propre du réalisateur. Nolan écarte le principe même de l'écriture sensé fournir de la matière à ses personnages presque réduits à des couvertures de magazine pour se concentrer idéalement sur la notion du temps. Ce noyau dur, principal attrait de l'auteur du Prestige devient l'attraction première du film de la même manière qu'un forain exerce un tour de grand huit à une poignée de curieux. L'ennui pointe alors sa truffe en compagnie d'un John David Washington qui roule les yeux et semble pouffer de rire à la moindre réplique. Il est aussi étonnant de constater qu'en terme de production design ce nouvel opus ne propose quasiment que des lieux communs. Un souhait que l'on peut deviner dans la représentation très actuelle de notre société et mimétisme constant chez l'auteur. Devant un tel constat, il est facile de comprendre que l'oeuvre s'adresse en priorité à la raison et non plus au coeur comme devait l'exiger les multiples références Bondiennes annoncées par Nolan en début de projet. Car si l'envie d'insuffler la notion de glamour est totalement vaine, le lissage de toutes formes de plaisir indique l'aboutissement d'une formule qui se préparait déjà en amont et au sein même des oeuvres antérieures.
Réduit malheureusement à une peau de chagrin difficilement capable de fournir le divertissement tant convoité, Tenet se contente de faire converger tous les dispositifs accumulés auparavant. Il y aura donc suffisamment de Dunkerque (la multiplication des points de vue) et d'Inception (le concept bigger than Life) pour affoler la dernière poignée d'aficionados qui rêvait de voir leur réalisateur préféré terminer son voyage dans une radicalité formelle à la manière d'un Malick ou d'un Lynch qui ont, eux aussi, franchi le Rubicon artistique pour le meilleur et pour le pire.