TENET est d'une densité folle qui en perdra plus d'un. Christopher Nolan prend le risque de faire d'un concept inconcevable pour un humain le principe même d'un long-métrage à plusieurs millions de dollars. Un pari risqué ? C'est certain. Une réussite ? A n'en pas douter selon moi.
Nombreux seront ses détracteurs, et c'est logique tant ce film ne peut que polariser les avis. Pourtant, Nolan redouble de cohérence pour palier un concept qui pourrait vite vriller à l'incompréhension totale. Surtout, il ne va pas se concentrer simplement sur son concept mais bien l'utiliser pour creuser des thématiques chères à son auteur - l'enfermement des personnages et l'impact du temps sur l'Homme. En plus, il ira fouiller sur le côté de l'environnement avec un propos incitant à agir mais aussi le destin et la manière dont on lui tord le cou (si tant est qu'on y croit). C'est là que le concept de l'inversion prendra toute son ampleur dans un canevas de film d'espionnage à la trame et aux enjeux plutôt classiques mais raccrochés aux thématiques évoquées. C'est à chaque fois cohérent, logique et bien traité. L'idée n'est pas tant de comprendre que de ressentir les effets de l'inversion et son impact sur les personnages. Comment le temps affecte notre perception de nos actions ? Voilà le cœur du film. Le temps apportera la vérité sur nos actions passées. La solution n'étant alors pas de les annihiler pour recommencer, mais de prendre conscience pour les changer.
C'est dans cette idée que l'émotion naîtra. Certes, elle est moins présente que dans INTERSTELLAR ou certains moments d'INCEPTION, mais elle reste prégnante. Les balbutiements d'une grande amitié entre Le Protagoniste (John D. Washington, charismatique) et Neil (Robert Pattinson, sobre et naturel) sont traités avec pudeur et réalisme surtout dans cette scène finale où le revient à cette idée de prise de conscience. Et le parcours de Kat (Elisabeth Debicki encore une fois impériale) est particulièrement réussie faisant d'elle une femme en prise à une masculinité toxique dont sa liberté dépendra de sa prise de conscience en sa capacité à se libérer elle-même. On s'attache à ses personnages sous-écrits pour de bonnes raisons - particulièrement Le Protagoniste à qui nous sommes collés et identifiés. On y projette nos incompréhensions, nos peurs et nos sentiments. Ce personnage est à l'origine de tout lorsqu'il … en prendra conscience. A nous de prendre conscience, comme lui, qu'il faut agir. Et ce choix de sous-écriture se trouve dans son final. Celui-ci fera réaliser l'ampleur et la profondeur de ces personnages qui en fait se caractérisent durant les événements du film. Nolan fait preuve ici d'une ingéniosité retorse tant il ne démordra pas et ira au bout de son idée. C'est sa limite diront certain, mais on peut y voir au contraire sa force.
Le tout est emballé dans un délire technique totalement irréprochable. La mise en scène est plus posée que dans les précédents métrages de Nolan surtout en ce qui concerne l'action. Le concept du film l'obligeant à poser sa caméra et à laisser durer les plans. On jubile donc face à cette action au service de la narration, le temps étant l'ennemi intime de chaque humain. Et ce jusqu'en dans cette bataille finale presque abstraite où l'on tire sur un futur impalpable mais bien réel qui attaque un présent concret mais aux conséquences invisibles. Un véritable casse-tête de mise en scène bien servi par les talents des nombreux techniciens comme son opérateur von Hoytema et sa monteuse, Jennifer Lame - son travail est incroyable malgré quelques ellipses particulières en début de métrage. Sans parler de la bande-original étourdissante de Ludwig Göransson avec un thème décliné à foison dans l'ensemble de sa partition.
On vibre en même temps que l'on se précipite dans ce vertige qu'est TENET, un blockbuster d'action aussi divertissant qu'ingénieux.