Le réalisateur et scénariste, Christopher Nolan a imaginé l'histoire d’un film d’espionnage et de science-fiction au début des années 2000, un film qui sera le concentré des obsessions du cinéaste. Christopher Nolan a attendu d’être dans les années 2010 pour travailler sur la version finale du script.
Le titre du film est un palindrome (tiré du carré Sator), c'est-à-dire qu'il peut se lire de gauche à droite et de droite à gauche : TENET.
Retardé trois fois en raison de la pandémie de Covid-19, TENET sort finalement en août 2020 et devient le premier blockbuster hollywoodien à sortir en salles depuis le début de la pandémie. La sortie est, compte tenu de la crise sanitaire, assez chaotique.
La promotion ressemble à une injonction quasi-impérative : TENET tu iras voir. Spectateur tu le dois, il le faut parce que ainsi tu sauveras une industrie du cinéma sévèrement frappée par les effets économiques de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19, qui souffre en effet d'une baisse de 70% de fréquentation quand on compare à la même date les chiffres actuels avec ceux de l'année dernière. La place du spectateur n'aura jamais été aussi bétonnée par son identité fonctionnelle d'agent économique sommé de faire un effort pour sauver du naufrage son loisir culturel préféré.
Sur le papier, le film arbore tous les signes distinctifs du blockbuster estampillé Christopher Nolan. Son argument commercial se confond avec un concept (l’inversion temporelle), que le film étire jusqu’à mettre la narration en abîme dans un habile jeu d’illusion. Comme à l’accoutumée, la perception que les personnages ont du monde s’en trouve ébranlée, et avec elle la croyance que les spectateurs accordent aux images. Des éléments de science-fiction sont par ailleurs injectés dans un genre balisé dont les codes ont été posés par James Bond, croisant le film d’espionnage et le film d’action.
L’ensemble du long-métrage voit se succéder les épisodes spectaculaires avec l’assaut d’une salle d’opéra, une course-poursuite motorisée, l’opération de déminage, ou le détournement d’un avion avec un véritable crash. Une succession d’action qui épuise son dispositif narratif. C’est le paradoxe le plus évident du cinéma de Christopher Nolan : il a recours au sensationnel pour mener son public à la contemplation d’une idée, et défend la matérialité de l’expérience filmique pour rendre compte d’une pure expérience de pensée.
Cette dernière réalisation souligne toutefois en creux les failles d’un système. Il y a dans l’œuvre de Christopher Nolan au moins deux défis posés au cinéma : le premier, purement formel, se résume à une quête de l’intensité, qu’il voudrait maintenir à l’échelle d’un film entier ; le second, métaphysique, consiste en une tentative de penser l’ordre d’un monde miné par le chaos. Deux défis que Nolan s’est efforcé de relever obstinément par la dilatation du temps. Dans ses précédentes réalisations, il s’agissait à chaque fois d’emboîter des durées pour creuser la temporalité du récit, en usant d’une même astuce de narration et de stratégies de montage.
Ici, il n’est plus question de dilatation du temps mais bien de réversibilité de l’entropie. C’est le monde à l’envers, ni plus ni moins, soit une expérience de pensée auquel le cinéma nous a habitué dès ses débuts : en faisant défiler les images d’un film en sens contraire, on provoque l’illusion d’un retour en arrière. Le phénomène est généralement d’ordre optique, ici, les personnages sont amenés à l’appréhender physiquement, comme un dérèglement des lois qui ordonnent notre monde, et dès lors, comme le générateur d’interactions nouvelles. Ce n’est pas tant la linéarité du temps qui est remise en cause, que le sens de la ligne, sa direction, son point de fuite. Le nouveau défi consiste alors à rendre à l’image la coexistence de dynamiques contraires au sein d’une même séquence (une simple vitre permettant par exemple de mettre en présence, au regard l’une de l’autre, deux temporalités en principe inconciliables). Tout est donc affaire de lisibilité (à l’image d’un palindrome) et Nolan, privé de l’argument du montage, réussi à traduire visuellement son beau fantasme.
Il sera d’ailleurs récompensé de l’Oscar des meilleurs effets visuels, lui et son équipe.
On a parfois réduit Christopher Nolan à un architecte de méandres cérébraux repliés sur leur matière grise, quand la réussite de ses meilleures œuvres tient largement à la façon dont s’y articulent dynamiques globales et tensions individuelles à la lisière du mélodrame. On bâtit des mirages, des villes entières, pour y encapsuler la perte de l’être aimé, et une chambre d’enfant se trouve directement reliée aux tréfonds de l’univers. Le film souffre quant à lui de ne pas enregistrer les résonances intimes de son concept.
Le Protagoniste significativement anonyme n’est pas pris dans la même fuite en avant ou en arrière qui projetait les anciens héros de Christopher Nolan dans des épopées intérieures. Fils de Denzel Washington, John David Washington va sauver le monde avec l’aide d’un mystérieux complice incarné par Robert Pattinson dont on comprend finalement qu’il est un émissaire du futur qui court sciemment à sa perte.
On pourrait soutenir que des ressorts dramatiques sont disséminés parmi les autres acteurs, plus ou moins périphériques, de l’intrigue : le grand méchant russe interprété par le britannique Kenneth Branagh, dont l’enfance passée dans les ruines de l’Union Soviétique à traquer l’atome a manifestement laissé des stigmates qui feraient la fortune d’un psychiatre, et qui confond sa finitude prochaine (il est atteint d’un cancer) avec le sort de l’Humanité qu’il entreprend d’abattre ou la femme fatale incarnée par Elizabeth Debicki prisonnière d’un ogre jaloux, qui attend son billet retour hors du joug de son mari, sous la forme d’un faux tableau de Goya.
Mais ces ébauches de personnages n’ont pas l’épaisseur d’une feuille de papier. La présence de l’indéboulonnable Michael Caine n’y changera rien.
La musique du film est composée par Ludwig Göransson (c’est sa première collaboration avec Christopher Nolan). Hans Zimmer ou David Julyan, qui avaient pour habitude de travailler avec le réalisateur, n’étaient pas disponible.
TENET semble au bout du compte être passé à côté de son sujet : son pitch (une Troisième Guerre Mondiale est déclarée par les petits-enfants d’une humanité qui leur a laissé un monde inhabitable) et son concept avaient de quoi fournir la matière d’un beau film de guerre abstrait où il aurait été question de se battre contre les traces laissées derrière soi dans le monde. C’est le cap esquissé par le film à sa toute fin, lorsqu’il entreprend maladroitement de replier l’épopée sur le cadre domestique (le sort de l’Humanité suspendu à la rupture d’un couple, puis une main tendue à un enfant), sans qu’on ne puisse décidément trop y croire.
Doté d'un budget estimé à 205.000.000$, le film a rapporté pas loin de 360.000.000$ dans le monde. Un succès correct compte tenu de la pandémie de Covid-19 qui a bien évidemment eu une influence sur la fréquentation des salles, bien que ce score soit nettement en-dessous des précédentes réalisations de Christopher Nolan.
Je suis navré que les studios n'aient pas tiré les bonnes conclusions de la sortie de TENET. Plutôt que de se demander si le film a bien fonctionné et comment cela peut leur procurer des revenus dont ils ont grand besoin, ils se demandent s'il n'a pas été à la hauteur au lieu de jouer le jeu et de s'adapter ou de rebâtir notre entreprise, en d'autres termes.
Christopher Nolan est donc satisfait des revenus et la sortie en salle de son film, mais ce n’est pas l’avis des studios de production, y voyant un échec. Le cinéaste reste plutôt optimiste sur l'avenir du cinéma en salle, malgré la redoutable concurrence des plateformes de streaming.
L'accélération des nouvelles tendances pour voir un film, c'est quelque chose que j'ai commencé à comprendre dès le début de la pandémie. La vraie question est plutôt : quelle est la nouvelle réalité dans laquelle nous vivons ? Aller au cinéma fait partie de la vie, comme aller au restaurant et tout le reste. Mais, pour le moment, il faut que chacun s'adapte à cette nouvelle réalité dans laquelle nous vivons.
TENET n’aura pas sauver le cinéma de la pandémie mondiale de Covid-19.