Chaque diffusion télévisée ou séance Blu Ray de Terminator 2 me renvoie systématiquement à ce jour d'octobre 1991, quand le gamin de onze ans que j'étais à cette époque s'est assis dans le fauteuil rouge de la grande salle du cinéma qu'il fréquente encore aujourd'hui. Rien ne l'avait préparé au choc, à l'illumination. A la révélation...
J'étais assis entre mon papa et ma maman, un paquet de pop corn Baff dans les mains, ouvert, qui exhalait son odeur sucrée et caramélisée qui poussait à la consommation, comme la publicité qui avait été diffusée seulement quelques minutes auparavant, celle représentant un grain de maïs soufflé sur une planche à voile. Ce paquet de pop corn représente le souvenir de mon enfance heureuse au cinéma, au cours de douces séances familiales en nocturne.
Le son de la musique d'ambiance baisse, les lumières déjà tamisées s'éteignent. Les premières notes du score de Brad Fiedel tonnent. Me voilà saisi, comme emporté. Tout commence avec cette scène dans le bar, aussi directe qu'Arnold qui demande les vêtements, les bottes et la moto d'un biker. Avec son Bad to the Bones électrique qui la conclut. Du haut de mes onze ans, j'étais déjà sur le cul. Puis c'est cette menace froide, implacable et inéluctable comme la mort que porte sur son visage sans expression un Robert Patrick mutique et sec. LA figure immortelle du bad guy. Tous les moyens lui sont bons pour mener à bien sa traque, à commencer par une poursuite en camion dans un canal sans fin qui m'a fait m'enfoncer dans mon siège et écarquiller les yeux. La mâchoire décrochée, je voyais le T-1000 surgir des flammes dans la révolution des effets spéciaux de l'époque, animant un métal liquide inquiétant que les balles ne pouvaient pas arrêter et qui était capable de prendre n'importe quelle forme, jusqu'à celle de la tutrice de John dans un signature shot glaçant.
La menace était partout, jusque dans les allées de l'institut psychiatrique de Pescadero. Elle tue encore et passe à travers les barreaux dans une image saisissante s'approchant de son visage, puis descendant sur sa main armée, coincée une fraction de seconde. Les moments chocs s'enchaînent et se vivent comme en apnée, médusé et crevant d'envie d'en voir plus. Ils alternent avec des moments plus intimes ou plus graves s'attardant sur la relation compliquée entre John et sa mère, femme forte au tempérament de feu et à la fois fragile. Avec un Terminator qui s'impose en tant que figure paternelle la plus crédible et humaine, la peinture de cette famille dysfonctionnelle en sursis fait oublier l'espace d'un instant la perspective d'un jugement dernier rappelée par le cauchemar de Sarah, autre signature shot immortel, avec ce squelette accroché au grillage d'un jardin d'enfants ravagé.
La fusillade dans les laboratoires de Cyberdyne et la poursuite sur l'autoroute ne sont que péripéties, tout juste bonnes à remplir mes yeux déjà débordants d'étoiles. Et à me faire entrebailler un peu plus la bouche d'un émerveillement teinté d'angoisse. La chaleur de la fonderie me suffoque, à mesure que le T-1000 se rapproche de ses proies, puis se grippe sous l'effet de l'azote. Même entravé, même brisé, Robert Patrick avance, à s'arracher les membres, jusqu'à éclater en mille morceaux sous les balles. Soulagement de courte durée. Sous les orangés de la fusion et les jaunes aveuglants des lumières de Cameron, les gouttes d'un métal comme douées de vie se cherchent, se rassemblent, plus que jamais inquiétantes. Au terme d'un affrontement désespéré, une dernière image indélébile, dans un effet spécial encore impressionnant aujourd'hui et ce qui peut s'apparenter à la souffrance d'un visage de métal déformé sans fin. Puis l'émotion se fait jour, les larmes des personnages roulent face à la perte inévitable. Si le jugement dernier n'a pas eu lieu, c'est au prix de la perte de ce qu'il est permis de considérer comme un père.
Alors que le générique déroulait sa suite interminable de noms, les lumières se sont rallumées et je me suis rendu compte que mon paquet de pop corn Baff était encore presque plein. L'action à l'écran m'avait fait oublier l'odeur caramélisée qui s'en dégageait et qui poussait à la consommation. A ce moment là, en ce jour d'octobre 1991, j'ai su, du haut de mes onze ans, que Terminator et moi, c'était pour la vie.
Behind_the_Mask, qui sert contre lui sa peluche Terminator tous les soirs avant de se coucher.