Terre sans pain par Jibest
Bunuel a créé un genre novateur et (heureusement) jamais reproduit à ma connaissance : le nanar social.
Je m'explique : En 1933, l'Espagne est redevenue républicaine mais ce système est fragile. Des gouvernements de droite et de gauche (modérés tous deux) se succèdent dans une tension permanente, jusqu'à la guerre civile. Avec sa subtilité de bulldozer, Bunuel décide de faire un pamphlet social afin de pousser les pauvres à la révolution.
Pour cela il choisit de faire un documentaire sur la région des Hurbes, la plus pauvre d'Espagne alors. Déjà, il a noirci le tableau en choisissant exprès les endroits et les situations les plus sordides (un peu comme Zola).
Mais en tournant sur place, il se rend compte que c'est moins sordide qu'il ne l'aurait voulu, ou alors il pouvait plus difficilement le reproduire. Alors il va magouiller le film, à coup de musique mélo pour faire pleurer Margot, de "direction d'acteurs" et utiliser un commentaire pour appuyer là ou ça fait mal.
Ce commentaire! Vraiment grandiose comme procédé : la voix nous parle d'horreurs absolument pas visibles sur l'écran. Exemples :
- la chèvre qui ne nourrit les habitants que si elle tombe accidentellement de la falaise (où qu'elle soit un peu aidée à tomber par un réalisateur sensationnaliste!) et que 2 caméras la filment PAR LE PLUS GRAND DES HASARDS,
- la petite fille malade qui a mal à la gorge (on ne voit rien et certains disent (je n'ai pas la preuve) que c'est une autre gorge) et qui serait morte après,
- les paysans qui peinent dans la montagne, filmés dans un sublime travelling avant bien fluide et rapide, comme si le caméraman était sur un sentier et que les paysans devaient exprès marcher à côté,
- l'exportation d'orphelins,
- les ravages sur les rares cultures (avec des arbres sains),
- le danger des "crétins" comme le commentaire les appelle, dus au manque d'hygiène et à "l'inceste",
- on sent également un certain mépris bourgeois de l'équipe de tournage à l'égard de la population.
L'ennui avec ce film, entre 2 éclats de rire nerveux et honteux, c'est que l'on finit par ne plus pouvoir ressentir de l'empathie pour ce sous prolétariat. Chaque scène finit par nous plonger dans le doute : est-ce que cet homme est vraiment malade ? Est-ce que ces enfants doivent vraiment boire dans la rivière où chient les cochons ?
Bunuel ne peut aussi s'empêcher de choquer en montrant un âne mort tué par la ruche qu'il portait (peut-être l'équipe a un peu aidé) et surtout un nouveau né.
En clair, malgré un certain style artistique, on ne peut qu'être choqué par une œuvre aussi grossière, outrancière, manipulatrice, et socialement contre-productive.