The Artist est un film français en noir et blanc qui rend hommage au cinéma américain muet d'avant-guerre. Le film, qui réunit à nouveau le trio d'OSS 117 (Dujardin-Bejo-Hazanavicius), a connu un grand succès critique à sa sortie au point de réaliser une improbable razzia aux oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, et meilleur acteur). Improbable car bien peu de gens auraient cru possible qu'un film français, muet et en noir et blanc puisse obtenir un jour la récompense prestigieuse que s'octroient entre eux les producteurs hollywoodiens. A ce sujet, je pense que The Artist demeurera pendant longtemps le symbole par excellence de la victoire en coulisses, des intrigues de couloirs, qui collent à la peau de la cérémonie des oscars depuis ses débuts. Non pas que ce film soit plus mauvais que ses prédécesseurs (loin de là), mais plutôt parce que sa victoire était tellement improbable au regard de ses caractéristiques, sa forme tellement éloignée des canons habituels de la cérémonie, que l'influence du tristement célèbre Mr. Weinstein dans ce triomphe devient alors proprement spectaculaire. Bref, je m'égare.

Toutes ces récompenses devraient nous promettre un film exceptionnel. Eh bien, pas vraiment. Pourtant, ses qualités sont indéniablement nombreuses. The Artist est un bon film, au moins sur le plan artistique. La photographie est belle, les acteurs convaincants, le rythme est bien tenu, et le scénario, s'il ne prend aucun risque et reste très classique, propose une histoire plaisante, assez légère et fluide. Mais il souffre d'un défaut capital, qui le fait passer à côté de son sujet et lui fait perdre presque tout intérêt. Je m'explique :

The Artist est censé rendre hommage au cinéma muet du début du XXe siècle. Le génie du cinéma muet, des Charlie Chaplin et autres Buster Keaton, était de raconter une histoire et de faire vivre des émotions sans aucune paroles. Simplement à travers les images, les situations, le jeu d'acteur... On utilisait les intertitres au minimum, seulement quand c'était absolument nécessaire, et tout devait passer par l'image et la musique : le rire, l'émotion, la progression de l'histoire. C'est un exercice très difficile, et c'était cela la véritable identité du cinéma muet, ce qui fait encore aujourd'hui son charme.

Ceux qui ont fait ce film ne semblent pas l'avoir compris. On a l'impression que le muet est un poids pour ce film, qu'il traîne comme un boulet, une contrainte qui l'enferme et l'empêche de donner sa pleine mesure. The Artist est incapable de faire progresser l'intrigue et d'offrir des émotions sans nous abreuver de dizaines et de dizaines d'intertitres, ce qui est à la fois agaçant et surtout complètement aberrant pour un film muet. Prenez la scène de The Kid où l'assistance sociale enlève l'enfant à Chaplin qui pourchasse ensuite la voiture et le récupère : il n'y a pas un seul dialogue, seulement les images et la musique, et pourtant on comprend tout ce qui se passe et l'on est ému aux larmes. Cela fonctionne car cette scène a été pensée pour être une scène muette. Eh bien il n'y a jamais cela dans l'oeuvre d'Hazanavicius, aucune scène n'a été pensée ainsi et tout passe par les intertitres, tout le temps.

Ma conclusion est donc que le principal défaut de The Artist est qu'il est un film muet. Il est beau, bien fait, bien réalisé, mais il passe à côté de son objectif principal, qui était de rendre hommage au génie du cinéma muet. Mais The Artist n'a pas compris ce qu'était le cinéma muet, et n'est donc pas un véritable hommage. Il est simplement creux, sans aucune forme de génie.

Misugi74
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le 5 avr. 2020

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Misugi74

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