Un film muet en noir et blanc en 2011,fait et interprété par des stars,couvert de récompenses,ça sentait l'opération conceptuelle et le succès-effet de mode.La surprise n'en est que plus agréable car il s'agit là d'un kif absolu.Hazanavicius a reproduit à la perfection le cinéma des origines.Format 4/3,fondus à l'objectif,jeu hyperexpressif des comédiens,intertitres,musique soulignant exagérément l'action,coins d'écran obscurcis,rien ne manque.Mais au-delà de l'exercice de style,il a pris la peine de faire un sacré bon film,avec un impressionnant souci du détail.La photo de Guillaume Schiffman est juste sublime et la mise en scène d'Hazanavicius respire la grande classe.Son utilisation de la profondeur de champ transcende le format atypique de l'image et l'alternance des distances dans les plans frise la perfection.La direction d'acteurs et leurs déplacements dans le cadre sont d'une précision maniaques et le rythme ne faiblit jamais,développant un scénario plus original et intelligent que ce à quoi on pouvait s'attendre.Chaque plan recèle des idées étonnantes et les textes des intertitres sont parfois d'une ironie cinglante.L'histoire est celle de George Valentin,superstar du muet,dont la carrière dégringole à l'avènement du parlant tandis que celle de Peppy Miller,jeune figurante amoureuse de lui et à qui il a mis le pied à l'étrier va connaître une irrésistible ascension.A ce propos,le réalisateur traduit de façon lumineuse les trajectoires contraires de ses personnages en utilisant la verticalité.Ainsi,lorsque Valentin,qui vient de rompre avec son producteur,descend l'escalier,il croise Peppy,qui vient d'être engagée et gravit les marches.Ils parlent quelques instants,elle se trouvant au-dessus de lui,le filmage en plongée-contre-plongée résumant exactement leurs situations divergentes.De la même manière,un peu plus tard,Peppy,devenue une vedette,assiste dans un cinéma quasi-désert à la projection du film muet que George a produit et réalisé,et qui va précipiter sa ruine.Elle est au balcon et Valentin en bas,chacun ignorant la présence de l'autre,et elle contemple sur l'écran l'homme qu'elle aime en train d'être englouti par des sables mouvants.C'est d'une beauté et d'une évidence qui se passent de paroles.Jean Dujardin et Bérénice Béjo sont prodigieux et n'ont pas volé leurs trophées.Le premier incarne merveilleusement la thématique très actuelle du film en campant un homme qui voit son monde disparaître et refuse de s'y résoudre,quitte à sombrer avec lui.Ce qui n'est sans doute pas sans rapport avec nos sociétés actuelles phagocytées par la technologie galopante et en perpétuelle mutation,laissant sur le bord de la route beaucoup de gens largués ou sceptiques.La seconde irradie dans le rôle de cette jeune femme solaire,véritable boule de charme et d'énergie.A signaler aussi la grande performance de l'incroyable chien Uggy,qui aurait largement mérité un Oscar s'il en existait un pour les animaux.