« Il ne lui manque que la parole ! »
"The Artist" ne se contente pas de laisser tel quel son postulat d'être un film muet et en noir & blanc. Il joue d'emblée et sans cesse de cette particularité et des possibles frustrations qu'elle crée chez un spectateur contemporain, multipliant notamment les jeux de film dans le film et insistant parfois sur des objets et personnages visiblement sonores sans qu'on ne puisse bien-sûr les entendre. Ainsi, même si l'hommage aux films muets est manifeste et les références aux films du début du cinéma nombreuses (ouvertures à l'iris, volets de transition, effets de surimpression, citations d'œuvres célèbres comme "Le Chanteur de Jazz" ou "Le Signe de Zorro"...), l'idée n'est pas véritablement de créer un pastiche de film muet de la fin des années 1920. Si l'histoire du film se déroule à cette période, et si son esthétique en reprend les codes, "The Artist" ne masque pas pour autant totalement son côté contemporain, dans la mesure où il est avant tout un film sur cette période, ce qui implique nécessairement un certain recul historique. En suivant la vie de George Valentin, acteur star du cinéma hollywoodien muet dont la vie est petit à petit bouleversée par le succès du parlant, Michel Hazanavicius rend hommage à la magie et à la beauté du cinéma muet, tout en s'en moquant aussi parfois, mais toujours avec bienveillance.
Ainsi, en s'imposant lui-même la contrainte de se passer des dialogues dans son film, le réalisateur s'ouvre alors une infinité de possibilités de création, qui était celle des pionniers du cinéma : des procédés purement visuels, poétiques voire métaphoriques sont ainsi développés pour exprimer ce qui est trop souvent dévolu aux dialogues dans le cinéma contemporain. La musique du film, qui prend une grande importance expressive du fait de l'absence de dialogues, est elle aussi assez variée. Elle développe le plus souvent des thèmes dans l'esprit de ceux qui étaient joués pendant les projections muettes d'époque, mais il arrive aussi qu'on entende des musiques qui brisent complètement cette imitation, comme une chanson populaire ou encore la célèbre bande originale composée par Bernard Hermann pour le "Vertigo" d'Alfred Hitchock, qui ouvre immédiatement à un imaginaire métaphorique de fantômes et de résurrection.
La force de Michel Hazanavicius est donc de multiplier les rapports au muet : "The Artist" ne se présentant donc jamais tout à fait comme un film tel qu'il aurait été fait à l'époque, mais plutôt comme une véritable œuvre postmoderne, couplant des références passées explicites à des techniques très actuelles (notamment dans la narration multipliant des ellipses, fait plutôt rare dans les années 1920). Le film incite en cela le spectateur à jouer et à s'amuser de la distance, du décalage qui s'opère alors. On n'est finalement pas loin des premiers faits d'arme de Michel Hazanavicius (ses détournements, dont La Classe Américaine), qui était donc un dialoguiste avant tout, mais qui ne renie pas pour autant ses talents avec "The Artist", parvenant à placer une des meilleurs répliques de ces dernières années, cynique dans tous les sens du terme... via un intertitre.