Orchestral Manoeuvres in the Dark

Devant The Batman, le 2 mars 2022, le masqué a cru se retrouver le 9 octobre 2019 devant Joker. Soit devant un film méga attendu qui ne lui inspirait pas grand chose. En 2019, il s'agissait du nom de Todd Phillips, qui lui faisait craindre le pire, vu que Very Bad Trip, c'était la lie de la comédie US et qu'un tel réalisateur, on ne pouvait à l'évidence rien en tirer, surtout pour un comic book movie.

En 2022, le nom tant redouté, c'était celui de Robert Pattinson, que le masqué n'aurait jamais imaginé en Bruce Wayne, encore moins en Batman. A moins d'une totale erreur de casting, ou que le Chevalier Noir ne soit devenu emo ramollo et scintillant. Les images ont la vie dure, parfois, que voulez-vous...

Sauf que comme avec Joker en 2019, DC fait coup double aujourd'hui, offrant un chef d'oeuvre immédiat et éclatant, en produisant des films presque auto-suffisants et non inscrits (pour le moment en tous cas) dans un immense storytelling où l'on croiserait d'autres héros issus d'univers voisins.

Et DC en profiterait même , sur un terrain où Marvel reste souverain, mais en petite forme, pour filer un petit soufflet derrière les oreilles de la Maison des Idées, par son approche dissidente, bien plus adulte et sombre du genre.

Je n'aurais jamais dû douter, après tout, de The Batman, vu que Matt Reeves était annoncé de longue date derrière la caméra, lui qui a porté les deux-tiers de l'une des meilleures trilogies de science-fiction des années 2010, rien de moins.

Car avec lui, c'était couru d'avance que le mythe allait être revisité. Et c'est donc avec la même vista que celle déployée en pleine Planète des Singes qu'il s'empare de l'univers du Caped Crusader en mettant en avant un aspect souvent négligé tout au long de la carrière sur grand écran de Bruce Wayne : ses facultés de plus grand détective du monde.

Exit donc les prouesses super-héroïques qui envahissent l'écran et font tout exploser. Exit les mano a mano avec les vilains les plus emblématiques qui sont convoqués ici : Catwoman, Le Pingouin, le Riddler, Carmine Falcone ou encore Maroni.

Avec autant de noms, en plus d'Alfred, de Gordon, de Thomas et Martha Wayne, The Batman menaçait de souffrir d'un trop plein pachydermique. Mais il n'en est rien. Au contraire, le film est d'une richesse sans égale dans l'environnement de Gotham City, irrigué d'une enquête passionnante aux multiples rebondissements, et qui ne trahit jamais l'univers de papier dont elle est issue. Certains esprits chagrins vous diront certainement que le Riddler a été transformé du sol au plafond, virant même terroriste à la Bane version Chris Nolan. Mais Matt Reeves en fait une menace des plus inquiétantes et omniprésentes, préservant son goût pour les énigmes tout en évacuant son côté un poil ridicule vu dans la série télé ou encore le Batman Forever de Joel Schumacher. Pour épouser la vision dévoyée de sa croisade, sur les notes d'un Ave Maria détraqué, qui rythme les résonances politiques actuelles et leurs fondations déliquescentes.

Ce nouveau millésime de Batman se mue ainsi en une enquête en forme de jeu de pistes parfaitement organisée et équilibrée, qui ne laisse aucun des personnages convoqués sur le bord de la route. Lorgnant qui plus est chez les plus grands, le Zodiac de David Fincher en tête.

Le tout dans un thriller assez suffocant plongé dans une noirceur de chaque instant des coulisses du pouvoir et des manipulations. Jusqu'aux tréfonds du manoir Wayne dont quelques membres cachent d'inavouables secrets écornant le mythe de l'ascendance philanthrope du jeune Wayne, déjà abordée avec succès dans Joker, justement. Et l'on éprouve en plus d'une occasion un certain feeling du cinéma des années soixante-dix, faisant se côtoyer Chinatown, French Connection et la pluie constante de Seven.

Et comme en 2019, The Batman se montre aussi incroyable qu'enthousiasmant, en réussissant même la prouesse de faire de Robert Pattinson un jeune Dark Knight plus que crédible, tant dans le costume que sous le prisme de son identité civile.

Et tandis que les images fortes et indélébiles s'enchaînent, tandis que le masqué n'a fait que retenir son souffle tout au long des presque trois heures de projection, tellement il était bluffé et scotché, il s'est dit qu'il n'y avait qu'un seul problème avec ce Batman grand cru : Comment, en effet, DC pourra-t-il faire mieux dans la suite qui ne manquera pas d'arriver ?

Avec un tel univers visiblement chéri et adoré, c'est un défi dans les cordes de Matt Reeves, à n'en pas douter.

Behind_the_Mask, chauve-souris qui joue à chat.