"All it takes is fear and a little focused violence"

Comment pondre un n-ième Batman lorsque tout l’univers de Bob Kane a été narré dans une filmographie dense, des nanards de Schumacher aux blockbusters chirurgicaux de Nolan.
Todd Phillips a bien compris avec son Joker qu’un film qui porte un personnage plus humain que jamais, dans lequel le spectateur peut (dangereusement) s’identifier, ça marche, d’autant plus si la tension globale fait écho avec des mouvements actuels, comme Anonymous, les 99%, Occupy Wall street, Gilet jaune et autre…

Matt Reeves a repris cet univers à succès pour sortir un film dans l’ère du temps, en y ajoutant une ambiance poisseuse, tout droit sortie d’un thriller psychologique à la Seven de Fincher, avec du morbide, de l’angoisse. Batman est plus que jamais un détective, un enquêteur, plus qu’un super héro. Toujours en surfant sur cette vague, Le Batman qui nous est proposé est plus sombre que jamais, brillamment interprété par Robert Pattinson. Qu’est ce que j’aime ce parti pris d’un Bruce Wayne misanthrope, négligé, qui ne vit que pour son Batman. Il n’est plus à l’aise qu’en chauve-souris. A l’image de la Métamorphose de Kafka, il perd son humanité petit à petit et devient de plus en plus puissant en incarnant son animal nocturne et solitaire. Ses rares apparitions en homme lambda sont pénibles, et font de lui un personnage à la fois détestable et détesté par les autres, à cause de son origine sociale, son tempérament, son égocentrisme, mais qui à la fois émeut par sa tristesse, sa solitude.

Côté image, le gros travail de Greig Fraser, directeur de la photographie, nous donne un résultat époustouflant. Dans la lignée de Dune et de Blade Runner, nous avons là la tendance à venir pour les films des années 2020.

Dernier gros plus de ce Batman, ce sont 2h45 quasiment sans temps mort, avec un super-vilain superbement écrit et amené dans l’histoire, des scènes d’actions ultra immersives et des scènes choquantes qui montrent un parti pris d’un film pas forcément accessible à tout public, là je craignais de ne voir plus que des blockbusters aseptisés.

Mais ces 2h45 restent d’une densité parfois indigeste, avec une histoire qui reprend le lore de Batman avec son fouillis de personnages, les histoires familiales d’il y a 20 ans, les enjeux politiques de Gotham, la dépression de Bruce Wayne et j’en passe. Là où la trilogie de Nolan avait réussi à poser une dualité entre Batman et son ennemi : tantôt Ra's al Ghul, le Joker et Bane, ici, l’ennemi c’est Riddler, c’est la pègre, ce sont les politiques, les voyous, les « Anonymous », ce sont les forces de l’ordre... A force de vouloir faire Batman contre le reste du monde, et vouloir surfer sur la vague Anonymous proposée par le film Joker, le caractère intimiste du début du film laisse sa place à un film très dense qui n’en avait pas forcément besoin tant l’ambiance, le montage, l’image et l’intrigue principale du film sont excellentes. Cahier des charges? ou peur de Reeves de ne pas en dire assez ? En témoigne cette fin à la Michael Bay avec des explosions à tout va qui doit plaire au public blockbuster mais qui n’apporte finalement pas énormément à l’intrigue.

En résumé, un très bon film, très plaisant à voir, qui veut peut être en faire trop, mais qui réussit son pari de proposer un film sombre, sale, morbide. Le super vilain proposé est maléfique et fou, comme un Joker mais encore plus réaliste et humain, non sans rappeler les excellents thrillers de Fincher. Une mention spéciale à la performance de Pattinson et celle de Zoë Kravitz qui trouve une place d’héroïne dans ces films trop souvent réducteurs sur la place de la femme.