Bud Clay passe son temps sur l'asphalte : pilote de moto le week end, il passe les autres jours de la semaine à rouler pour atteindre le circuit où aura lieu la prochaine course. Sans assistant ou mécanicien, sans fan ou ami, il est seul. Tout le temps.

On ne sait pas, en revanche, si cette façon de se mouvoir sans cesse est pour Bud une manière de fuir ou d'être en quête de quelque chose, si le bruit des moteurs est un moyen pour lui de faire taire ses démons intérieurs ou d'occuper l'espace.

Comme dans tout road movie, les heures défilent, les kilomètres s'enchainent, les paysages sont variés et la météo est sans cesse changeante. Seul Bud reste le même. Du coup, il occupe l'écran. Tout l'écran. Tout le temps. Pas une scène, ne se passe sans la présence de Bud. Tout tourne autour de lui. A tel point que son visage devient le paysage le plus marquant du film. Mettre en avant ainsi ce personnage, tourner sans arrêt autour de lui, sans aucune forme d'explication, d'éléments de compréhension, c'est un moyen de le transfigurer, de le transformer en une simple enveloppe.

Car il est clair qu'avec The Brown Bunny, Vincent Gallo filme l'absence, le vide, le manque, et répond du coup à la question : comment filmer le néant ? Sa réponse est d'en esquisser les contours, les limites, les à-côtés.

Ce qui se passe à l'intérieur -ce vide, cette absence-, c'est le sujet principal du film, mais c'est aussi la force de ce long métrage. Le choix de ne rien nous donner, de ne rien nous expliquer nous pousse à nous interroger sans cesse sur le pourquoi des choses, sur la chronologie des événements qui ont amené Bud à se perdre dans sa solitude comme il disparait dans la ligne d'horizon d'un lac salé. C'est une manière de nous rendre actif dans un film par ailleurs si contemplatif, de laisser une forme de suspens, de partager la sensation de manque du personnage principal. La bande son, quant à elle, nous emporte avec elle et à l'image du reste du film, est autant une respiration qu'une invitation à s'en aller aux côtés de Bud.

Sans surprise, Vincent Gallo le scénariste a écrit un film sur mesure pour que Vincent Gallo le réalisateur mette en image un rôle pensé pour Vincent Gallo l'acteur. Mais quel autre cinéaste aurait pu être avoir l'égo et le magnétisme suffisant pour porter ce film de cette façon ?
G_Savoureux
10
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes R-N-D ---- Road movies et on est obligé de se limiter à 10 films pour le top 10 ?

Créée

le 24 juin 2011

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G_Savoureux

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