László Toth, juif hongrois, débarque aux Etats-Unis après avoir subi la Seconde guerre. Si son talent d’architecte et son expérience au Bauhaus lui ouvrent des portes, de hauts murs se dresseront devant lui.
Au plus près de ses personnages, la caméra instaure le trouble. Dans la pénombre, le héros se réveille inquiet, bousculé, quêtant un sac qu’il croit perdu. Est-il dans un camp, un train qui roule ou un ailleurs ? Au sortir de ces limbes, jaillit une lumière aveuglante. Ellis Island lui tend les bras et la statue de la Liberté s’incline, tête en bas. Conséquence d’une déformation professionnelle, lui qui répond à une prostituée que c’est son espace frontal qu’il trouve disgracieux, ou symbole d’un pays qui ne marche plus droit ?
Le récit se construit tel un opéra. Ouverture où les cuivres soufflent de manière solennelle, entracte de 15 minutes imposé par le réalisateur, épilogue vénitien. La fresque de 3 h 35 est millimétrée, magistrale du point de vue de la mise en scène. Sur une route qui défile marquant le point de fuite, chemine à l’horizontal le générique surligné. La perspective est née. Dans le monument, typographie, éléments graphiques, cadre et format de l’image jouent également sur ces effets structurés.
Moins convaincante est la destinée fictionnelle de László Toth. Le récit fleuve s’égare dans un dédale de marbre à Carrare. En trois décennies, entre douleur et gloire, optimisme et déception, il y aura du sang, de la sueur et des larmes. Dans la chapelle qu’il est contraint de construire, le génie au travail est un Michel-Ange acculé à sa Sixtine. Pour l’incarner, Adrien Brody retrouve sa frêle silhouette de pianiste oscarisé. Guy Pearce, loup protecteur et premier allié, finit par dévorer son corps et son âme. L’art ronge l’exalté, quand le pays d’accueil rejette le visionnaire. Plus que le voyage, c’est la destination qui compte et l’Amérique, davantage encore aujourd’hui, n’est plus la terre d’asile espérée. Celle qui a oublié qu’elle fut bâtie sur l’immigration, ne fait plus que tolérer l’étranger, le Juif, le noir, pour ce qu’il peut lui rapporter. Paul Thomas Anderson avait raconté sa puissance capitaliste à travers le pétrole dans There will be blood. Brady Corbet choisit le brutalisme pour en exprimer la dureté. Des rapports de domination qui s’avèrent aussi froids et massifs que du béton.
(8/10)
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