Vu dans le cadre du watching challenge 2019 (https://www.senscritique.com/liste/Watching_Challenge_2019_Liste_recapitulative/2293359 ) dans la catégorie Une adaptation d’un livre que tu adore
L’Appel de Cthulhu est l’œuvre de H. P. Lovecraft la plus connue, voire la plus emblématique. Pourtant je la mettrai dans la même catégorie que Vingt Mille Lieues Sous les Mers et le Chien des Baskerville, à savoir les œuvres phares de grands auteurs qui à mes yeux ne sont ni les meilleurs ni les plus représentatives. Mais là où la nouvelle dédiée à notre poulpe indicible préférée se distingue des autres c’est qu’elle apparait au sein de l’œuvre de Lovecraft comme une sorte d’introduction à cet univers et ses horreurs cosmiques.
Qu’attendre donc d’un film comme ce Call of Cthulhu ? Une bonne adaptation de Lovecraft ? Un bon film d’horreur ? Un exercice de style ? Idéalement on serait en droit d’attendre un mélange des trois.
Question adaptation le résultat est assez impressionnant. Au premier abord, adapter l’Appel de Cthulhu est une idée assez risquée. La nouvelle se composant de trois récits parfaitement autonomes s’imbriquant pour former un récit complet, ce schéma est complexe à adapter pour un support cinématographique. L’adaptation se fait au prix de quelques changements.
En rendant le « narrateur » fou plutôt que mort le film reste dans le style de l’auteur tout en justifiant le récit. De la même manière, supprimer l’affrontement entre les marins de l’Emma et ceux de l’Alert permet de simplifier le récit en restant concentré sur Cthulhu lui-même, même si se faisant on perd l’aspect « culte ».
Au final on reste bien sur trois récits distincts auxquels s’ajoute le récit du narrateur. Cette structure peut perdre un spectateur ne connaissant pas la nouvelle de base. On se retrouve en effet au moins à un moment en face d’un récit, dans le récit d’un récit. Les flashbacks et les témoignages s’imbriquent pouvant rendre l’ensemble un peu brouillon. Après, le film nous épargne de revenir plusieurs fois sur un même récit et l’ensemble avance finalement presque linéairement. Reste que l’aspect film muet peut nuire à la compréhension globale du récit pour un néophyte. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’une adaptation de Lovecraft. Une compréhension précise de l’histoire dans ses moindres détails n’est pas l’objectif premier.
Parce que la vraie force des récits du Maitre de Providence c’est bien leur ambiance et leur mythologie. La seconde est bien servie par le récit, qui met en place le Grand Ancien avec une efficacité redoutable. Pour le premier point il faut se concentrer sur la mise en scène et les effets techniques. Ici tout découle du parti prit de base : faire un film à la manière du cinéma expressionniste des années 20-30, soit l’époque de Lovecraft, nous reviendrons sur ce point. Le résultat est bluffant. Certes un spécialiste du cinéma pourrait trouver des détails trahissant la supercherie mais pour ma part je suis impressionné. Je suis à peu près convaincu qu’en montrant le film à quelqu’un qui ignore sa vraie date de sortie il est possible de lui faire croire qu’il s’agit réellement d’une œuvre du début du XXème siècle.
Mais est ce que cette prouesse technique sert bien l’ambiance ? ……. Oui et non. Y a des bonnes choses ! De très bonnes choses ! Mais y a un manque de moyen et de monumentale.
Les scènes se déroulant dans des lieux quotidiens rendent très biens mais les passages oniriques font un peu vides. J’ai bien conscience du manque de moyens, renforcé par la nécessité de correspondre au style expressionniste. Mais je retrouve assez peu l’aspect cyclopéen et non-euclidien de R’lyeh.
Concernant les personnages humains là encore le pari est réussi. Teint blafard, maquillage exagérés, sur-jeu constant… Les codes expressionnistes sont respectés et rendent parfaitement. Onirisme, folie, démence, hallucination… tout ceci passe très bien. Aucun personnage ne brille par une présence ou un charisme particulier, ce qui colle encore une fois parfaitement avec les personnages de Lovecraft.
Terminons donc avec le centre du film, le vrai personnage principal (si l’on peut réellement le considérer comme un personnage), le (très très très) gros morceau : Cthulhu !
Sa mise en place rend parfaitement. L’idole affreuse et grotesque correspond à peu près à ce qui est décrit dans le livre. Et puis il y a son apparition à l’écran. Encore une fois je sais qu’il était difficile de faire mieux de part les moyens et le parti pris. Mais le résultat n’est pas réellement à la hauteur pour moi. Alors oui le réalisateur joue sur le hors champ et évite de le montrer trop brutalement mais on a quand même au moins trois plans le présentant de pied et cape. Le tout pour un Cthulhu maigrichon et finalement peu marquant. On ne ressent ni l’aspect massif ni l’aspect cauchemardesque de la créature. Ces mouvements sont lents, il parait trop réel et trop léger. Et pourtant ce plan où il se reconstitue après avoir été percuté par Johansen est si irréel, si hypnotique qu’il sauve quasiment à mes yeux ce Cthulhu.
Alors que nous donne au final ce Call of Cthulhu ? Une bonne adaptation de Lovecraft ? Un bon film d’horreur ? Un exercice de style ?
Un peu des trois. Touts les points ne sont pas réussis à égalité. L’aspect horrifique par exemple ne marche que pour quelques scènes, notamment à cause d’une musique souvent peu inspirée. De plus comme je l’ai dis il est préférable de connaitre la nouvelle avant de voir le film. Pour les adeptes de Lovecraft en revanche le film prend une nouvelle dimension. En faisant un métrage à la manière d’un film contemporain de l’auteur. Cela donne une sensation étrange, comme si Lovecraft avait connu le succès de son vivant et vu son œuvre adapté.
En bref une œuvre spéciale, peut être réservée aux connaisseurs du maître, mais dotée de réelles qualités et réussissant un impressionnant tour de force.
Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn