Sous l’apparat d’un film de genre assez classique, Paul Schrader injecte évidemment ses préoccupations habituelles et fait battre le cœur de son métrage d’une noirceur sourde.


Ce cœur appartient à William, qui, comme tant de héros de Schrader, est hanté par un passé violent et par une culpabilité qui le pousse à se punir, tout en maintenant en vie l’espoir d’une rédemption. Ces héros masochistes, oui, Schrader en a beaucoup suivi, mais il les place à chaque fois dans un nouveau cadre qui enracine les préoccupations de ses films dans les institutions de l’Amérique du bas, mais aussi dans son histoire récente. La guerre, comme dans Taxi Driver, laisse des traces indélébiles que les vétérans ramènent à la maison.


Ici, après avoir dû quitter la prison dans laquelle il savourait son châtiment avec satisfaction, William se dirige vers les casinos. Et on est loin du frasque et du glamour que le cinéma y trouve souvent. Filmant en digital, un support idéal pour accentuer ces caractéristiques, Schrader capture des lieux laids, claustrophobiques, aux lumières blafardes et aux couleurs et textures à la fois stériles et écoeurantes. Des endroits tellement ternes et minables qu’ils finissent par foutre l’angoisse.


C’est dans ces purgatoires mutiques que William choisit de subsister, attendant la mort ou, qui sait, peut-être une chance de se rattraper. Elle apparaît d’abord sous la forme d’un jeune homme seul, en colère et prêt à être sauvé. Puis d’une femme qui peut leur offrir à tous les trois les moyens de s’en sortir.


Reconstituant une famille et rallumant le rêve d’un avenir libéré de son passé, William traverse littéralement un tunnel de lumière lors d’une très belle séquence qui offre enfin un peu de couleurs et de beauté, même artificielles, dans son univers de médiocrité.


Mais bien sûr, face à l’espoir existe encore la tentation. Celle de s’enfoncer plus profondément plutôt que de s’élever. La voie de la vengeance. Et à ce niveau, j’aime comment le film, alors qu’il aurait simplement pu faire hésiter William entre le péché et la vertu, base plutôt l’enjeu dramatique dans les tentatives de William d’éteindre ce feu chez quelqu’un d’autre, son double. Il extériorise le conflit. Et ce faisant, il retire à William une part de libre arbitre, les agissements de ce double le menant inexorablement vers la vengeance. C’est aussi tragique que prenant à suivre.


Oscar Isaac est, bien sûr, impeccable. Souvent vu comme un héritier des performances des années 70, le lien est ici, et encore une fois, évident. Aujourd’hui, il est rare pour un acteur de trouver ce genre de rôle torturé qui porte un film de bout en bout, mais il est encore plus rare de trouver l’acteur capable de l’assumer. Lui le fait merveilleusement bien, étant capable de charger un jeu en sous-régime d’un profond désespoir mais aussi d’une colère rentrée. Et c’est tout l’enjeu, nous accrocher dès le premier acte, alors qu’il ne se passe pas grand chose. Son regard est la porte d’entrée vers un personnage pourtant fermé, mais aussi une échappatoire, la promesse qu’il existe autre chose au-delà des lieux repoussants dans lesquels on nous fait pénétrer.


On a donc ici affaire à un néo-noir au sens noble du terme, avec une esthétique vraiment travaillée et une vision vraiment sombre portée sur l’Amérique contemporaine. Et surtout avec la tête remplie du catholicisme habituel de Schrader, rempli de masochisme et d’expiation, un univers de violence qu’il continue d’explorer après l’avoir spectaculairement ravivé il y a quelques années (et il enchaîne apparemment bientôt avec The Master Gardener).


Ce n’est pas un bouleversement de son cinéma, vous y retrouverez les mêmes figures, les mêmes motifs, les mêmes thématiques, jusqu’à la même structure. Donc rien qui renverse la table, mais toute personne sensible aux obsessions de Schrader, et ne lui demandant rien d’autre que d’assister à leur énième déploiement, sera ravie. Pour les autres, j’ai peur que ce soit une énième variation autour d’un thème trop souvent joué.


(Mais ceux qui aiment le travail sur le numérique, voyez-le quand même)

ClémentLepape
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le 25 févr. 2022

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