The Creator
6.4
The Creator

Film de Gareth Edwards (2023)

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Qu'est-on en droit d'exiger d'un blockbuster étatsunien de nos jours ?
Depuis l'ère du MCU, il semble désormais difficile d'espérer autre chose que du spectacle interminable et totalement évidé de propos comme de créativité, le tout noyé de CGI immondes, de musiques pompières et de mise-en-scène putassière incapable d'installer quoi que soit.
De là, tomber sur un film comme ce The Creator peut avoir ses vertus.
Ça peut même redonner un peu de foi dans la fabrique à rêves de ce bon vieux Oncle Sam.


Alors certes, il faudra bien évidemment souligner le fait que tout n'est pas parfait dans ce nouveau film de Gareth Edwards et que, lui aussi, a dû sacrifier sa part aux dieux romains pour sauver son droit de cité au sein cette rude industrie. Mais il n'empêche qu’en attendant, il y a trop de points sur lesquels ce film s’illustre positivement pour que j’y reste insensible.


D’accord, cette guerre entre une humanité pro-IA et une autre anti-IA aurait mérité d’être davantage creusée dans le fond, notamment dans ce que ça implique dans le rapport à l’humain, au vivant, au social, à l’intelligence, au politique. Sur ce plan-là, il y a eu une vraie frustration de ma part et ça je ne peux le nier…
…Mais, par contre, quelle belle proposition ça permet !
C’est notamment l’occasion de rejouer une opposition Occident / Orient selon d’autres perspectives, puisqu’assez rapidement le film entend poser sur son conflit fictif – et de façon manifeste – tous les calques de la Guerre du Viêt-Nam. On va jusqu’à nous rejouer (abusivement ?) des scènes de Platoon ou de Full Metal Jacket. On comprend dès lors que l’intention du film est moins de poser l’IA comme source de questionnement sur la nature humaine et de son rapport aliénant / émancipateur à la technologie, mais plutôt de s’en servir comme un simple rapport à l’altérité ; altérité en termes de politique, de modèle social, de leadership mondial…
…Et quand bien même ce film reste-t-il sur ce point-là très léger et superficiel – syndrome du blockbuster US malheureusement – que malgré tout il parvient à produire une imagerie parfois saisissante et devenue rare (pour ne pas dire totalement absente) de ce genre de spectacle ; une imagerie de la fascination morbide.


Cette imagerie, pour moi, c’est vraiment toute la force de ce The Creator.
L’air de rien, sur ces 2h13 de spectacle, qu’est-ce qu’on en aura vu de ce monde dystopique ! Des plages nocturnes de Nouvelle-Asie aux cratères de L.A.. Des rizières hybridées aux multiples métropoles surpeuplées. Et pour chaque endroit sa propre faune futuriste : drones semeurs de mort, vaisseau-badauds androïdes et long tails en lévitation… Et pour chaque objet dans ce monde un design, une lumière et surtout un son particuliers.
On retrouve-là ce goût du peaufinage environnemental qui avait fait tout l’intérêt (le seul ?) de Rogue One ; précédent film de l’auteur. Difficile d’ailleurs de ne pas sentir là-dedans l’influence des univers visuels récemment proposés par l’ Oblivion de Joseph Kosinski ou bien de l’ Elysium de Neill Blomkamp ; peut-être parmi les derniers esthètes à qui Hollywood a eu l’audace de confier un vrai projet d’ampleur.


Oui – vraiment – ce que je trouve vraiment de saisissant dans cette narration environnementale proposée par Edwards : tout peut devenir source de sidération et fascination en même temps ; la nature comme l’artifice ; les semeurs de vie comme les semeurs de mort. D’ailleurs, dans ce film, tout s’entremêle toujours : végétation et machine, décors physiques et CGI, humains et simulants, avec cette limite toujours rendue suffisamment floue pour permettre l’entretien de l’illusion.
Et là où ce Creator s’en sort vraiment avec les honneurs, c’est qu’il ne s’arrête jamais dans cet effort. Jusqu’à la dernière minute il entendra sans cesse enrichir son imagerie ; élargir sans cesse les horizons…


Moi, par exemple, ce final où on prend la peine d’introduire l’idée de colonies lunaires, de faire prendre aux héros des vols spatiaux commerciaux, tout ça pour aller ensuite découvrir les jardins intérieurs de Nomad, j’ai trouvé généreux, inattendu et particulièrement appréciable.


…Et quand, en plus de ça, on prend en considération le fait que ce film entende accomplir son ouvrage avec un sens cohérent et soutenu du rythme, de l’élan et de la complétude, ça dit à quel point ce film s’inscrit dans une rupture avec le modèle en vigueur.
Pas de logique épisodique à la con. Pas d’intrigue tiraillée entre une multitude d’arcs narratifs qui participent à annihiler toute dynamique. Un vrai film fini. Intégral. Complet. Ficelé.
Rien que pour ça : merci.


Alors certes, pour accomplir tout son tour sans trop s’appesantir et nuire à son élan, ce Creator ne s’interdit pas quelques facilités – voire quelques honteux raccourcis – avec la logique.


Comment ça se fait qu’on voit débarquer un char géant de l’armée américaine alors qu’à la base on nous parlait d’une mission d’infiltration ?
Et puis comment ça se fait aussi que l’armée US dispose de robots kamikazes ? N’avait-elle pas proscrit les IA ?
Et puis enfin, comment ça se fait que Nomad soit stationnaire au-dessus du ciel de Los Angeles au-moment où Joshua et Alphie cherchent à monter à bord et qu’il s’écrase finalement en pleine Asie ? D’ailleurs comment un truc aussi lourd et à une telle altitude ne s’écrase-t-il pas comme un gigantesque météore ?
…Et s’il était au-dessus de l’Asie, comment ça se fait que ses missiles aient mis aussi longtemps à atteindre leur cible ?
…Et pendant qu’on y est : si les Etats-Unis avaient la possibilité de tout raser depuis le début… Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?


Toutes ces fragilités scénaristiques pourront bien évidement poser problème à certaines et certains – et ça je l’entends parfaitement – mais pour ma part j’avoue (presque) tout excuser tant chacune de ces transgressions n’est pas faite en vain.


Parce que bon, d’accord pour dire que la présence de ce gros char et de ces robots kamikazes sont discutables par rapport à la diégèse du film, mais quel impact visuel !
Pour moi, ça reste LA scène forte de l'œuvre.


Alors – bien sûr – ça aurait pu être plus intelligent, plus profond, plus puissant encore. J’en conviens. Agiter quelques drapeaux rouges lors d’un plan fugace pèse en fin de compte bien peu à côté de la totale cécité que nous impose Gareth Edwards sur les modèles sociaux, économiques et idéologiques qui s’opposent ici au sein de cette grande guerre.
Tel un symbole de ce choix funeste, le titre de ce film nous rappelle aux limites discursives de ce genre de démarche. En insistant sur le creator, le papa, la maman et l’amour filial – seul motif valable trouvé ici par l’auteur pour justifier d’une trahison à sa patrie – l’œuvre abandonne toute prétention à vouloir adopter une quelconque hauteur de vue.
En découle un conflit édulcoré dont les enjeux semblent se réduire à une opposition entre d’un côté les gentils humanistes pacifiques et de l’autre la méchante puissance rendue belliqueuse du simple fait d’un vilain traumatisme pas sympa et mal interprété.
Une bêtise manifeste du propos qui – quand bien même n’est-elle pas le cœur de la démarche de ce film – n’en révèle pas moins toute la limite.


D’un autre côté, il suffit de regarder ce que la grosse armada US a su nous proposer cette année en termes de grand spectacle pour constater la réalité de l’audace.
Face à des Mission : Impossible, Indy 5, Gardiens de la galaxie 3 et autre The Flash, on serait en droit de voir un certain esprit de subversion – voire de rébellion – face à l’ordre en place.
Alors certes, ce n’est pas avec des œuvres comme ce Creator que la révolution surviendra…
…Mais c’est parfois par ces petits actes de subversion-là qu’on peut apporter à d’autres âmes rebelles de la foi.

Créée

le 4 oct. 2023

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