The Fall Guy
6.1
The Fall Guy

Film de David Leitch (2024)

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Quelque chose est mort dans la puissance américaine

Ça m'embête tout ça.

J'en serais presque triste.


Je n'attendais pourtant pas grand chose de ce The Fall Guy : j'avais vu la bande annonce et n'étais pas dupe de ce qu'elle révélait malgré elle. Dit en d'autres mots, je m'étais déjà plus ou moins fait une raison...

Seulement voilà, ça m'attriste malgré tout. Ça m'attriste parce que, maintenant que je sors de ce The Fall Guy, je me dis qu'il y a quand même là un sacré gâchis.

Ce film aurait pu être autre chose. Il aurait DÛ être autre chose.


Parce qu'on va tout de suite poser les choses sur la table : j'adore le cinéma d'action, et notamment celui qui entend s'ancrer dans une approche régressive de la chose. Je trouve même qu'Hollywood a su pousser le genre à un niveau de maitrise qui force le respect.

Mais bon, manifestement, tout ça, c'est du passé. Parce que bon, l'air de rien, avec The Fall Guy, on n'a pas à faire à de la production de seconde zone qui essaye de naviguer dans le sillage des gros mastodontes dans l'espoir de grappiller leur part de fretins. Non, The Fall Guy, c'est le mastodonte.

C'est 150 millions de posés sur la table. C'est David « John Wick et Bullet Train » Leitch qu'on met aux commandes. Et surtout c'est l'armada de stars bankables au possible qu'on aligne au casting : de Ryan Gosling à Emily Blunt en passant par Aaron Taylor-Johnson.

Tout ça pour un film qui, au bout du compte, affiche de réelles prétentions à se poser comme une démonstration de savoir-faire – et non sans certaines réussites d'ailleurs (et on va tout de suite en parler) – mais qui aboutit néanmoins à un résultat qui présente toutes les affres du cinéma malade.


Car des choses à sauver dans ce The Fall Guy, il y en a.

Cette histoire de cascadeur qui se retrouve à devoir dupliquer son rôle d'homme d'action à tout faire à la fois dans la production et autour de la production, franchement, moi j'ai trouvé ça sympa. C'était l'occasion d'une mise en abyme amusante où des cascadeurs jouaient des acteurs en train de jouer des cascadeurs, tout ça en se donnant aussi l'opportunité de surfer sur l'ambiguïté de chaque scène – à la fois factice et authentique – dans la mesure où ce qu'on voit à l'écran est autant une situation fictive qu'une cascade bien réelle.

Et d'ailleurs, sur quelques scènes, David Leitch parvient intelligemment à exploiter ce principe, nous invitant régulièrement à considérer la prouesse technique accomplie ; prouesse qu'il serait d'ailleurs malhonnête de ne pas considérer.


Dans des moments comme ça, The Fall Guy fait clairement le job, surtout qu'il le fait dans une atmosphère bon enfant qu'il a certes peiné à installer mais qui finit, avec le temps, par infuser...

...Enfin... Par infuser à condition bien sûr d'accomplir un gros effort d'abstraction face à toute cette lourdeur générale qui saborde en permanence l'entreprise menée.


Car il est vraiment là tout le drame de ce film.

Difficile d'ignorer tout ce gras qui, me concernant, a manqué à chaque scène de me péter les ventricules.


Du gras, il y en a partout, à commencer déjà dans l'écriture.

Dès la première seconde, tout est dit et redit, comme s'il ne fallait surtout pas qu'un sous-entendu trop subtil échappe au spectateur. Du coup, on martèle tout et on décrit tout, jusqu'à oser le pire acte de paresse d'écriture en termes d'introduction : celle du héros qui présente la situation, les personnages, les enjeux de l'intrigue et qui finit par le classique et lamentable « Et ça ? Ah bah ça, c'est moi. [Insérer nom du héros]. »


Ah mais pitié ! Et tout le reste sur ce ton !

On dit. On illustre. On redit au cas où ça ne serait pas rentré. Et ré-illustre.

« Et elle ? Bah elle, c'est l'amour de ma vie : Jody. J'ai mon petit cœur qui bat pour elle mais je peine à attirer son attention et à l'avouer...

– Eh ! Salut Jody !

– Salut Colt ! On t'attend là-haut je crois...

– Ah... Euh... OK... Dis-moi Jody, ça te dirait que je te conduise sur la plage et qu'on boive un peu ? J'ai des choses inconséquentes à te dire... [Véridique]

– OK d'acc' !

– Eh Cooolt ! Mais regarde qui voilà !!!

– Elle, c'est Gail, mon agent.

– Qui c'est qui vient saluer son champion, c'est Gail ! Ton agent préférée !

– Gail c'est une nana, tu sais pas pourquoi elle est accro au Diet Coke.

– Slurp ! Bon alors, Colt, il faut refaire cette scène, Tom n'est pas content de comment tu le doubles.

– Tom, c'est le mec que je double. Et c'est un connard.

– Colt, je ne suis pas content. Ton menton est trop large par rapport au mien. Refais la scène de dos... [Véridique] »

Deux heures de ça, donc... Moi je dis, il faut avoir le cœur bien accroché.

Surtout que tout le reste est de ce niveau là.


Photographie ? Orange et bleu ultra fat. Gras sur gras. Prends-toi ça dans la rétine.

Cascades ? Réussies, c'est vrai. Mais le tout gonflé aux CGI et aux boum-bim-bada-boum de circonstance.

Les enjeux ? Colt veut pécho Jody. Gail veut enfler Colt. Jody veut pécho Colt. On veut également buter Colt. On veut aussi enfler Judy sur son film...

Enfin bref...


Ce que je trouve triste dans toute cette histoire, c'est que ce gras, il suffirait juste de le retirer pour que le film accomplisse son office efficacement.

Par exemple, je me permets de souligner qu'il faille une petite demi-heure à ce The Fall Guy pour boucler sa phase d'exposition et enfin lancer l'intrigue. Une éternité qu'on aurait pourtant pu s'épargner si l'écriture avait expédié la phase d'exposition au lieu de l'alourdir à ce point.

Idem pour les notes d'humour. Elles auraient pu davantage fonctionner si elles n'avaient pas été aussi insistantes et redondantes. Le coup de la licorne et du chien au nom en guise de clin d'œil, c'est marrant une fois. Mais au bout de la sixième fois c'est juste gavant.


Et puis il y a aussi cette dernière absurdité : à quoi bon rajouter autant de CGI si c'est pour au final totalement atténuer l'aspect spectaculaire des cascades exposées ?

Et ça c'est vraiment fou parce qu'on peut s'en rendre compte dès la fin du film, lors du générique de fin, pendant qu'on nous montre quelques rushs et autres making of de scènes d'action afin de rendre justice aux vrais héros de l'ombre que sont les cascadeurs. Or, voilà que lors du visionnage de ces scènes qu'on nous présente donc sans fard aucun, on découvre des séquences au final bien plus impactantes et impressionnantes que celles vues pendant le film !

Or, moi, face à ça, j'en viens forcément à me demander à quoi a pu servir la mise-en-scène de David Leitch dans toute cette affaire ?

C'est de cette totale absurdité que découle ce constat que je fais : comme quoi ce film est juste le produit d'un cinéma malade.


Il y a de cela quelques années, je me souviens être allé voir Hans Zimmer en concert. Les places étaient super chères et je me souviens m'être dit à l'époque : « putain j'espère au moins que j'en aurai pour mon argent ».

Seulement voilà, trois heures plus tard, le constat était sans appel : j'en avais effectivement eu pour mon argent.

Le gars avait ramené la blinde de musiciens, des rangées de chœurs par centaines, et tous étaient parmi les meilleurs des meilleurs. Chaque musique jouée était l'occasion de mettre en valeur l'un d'entre eux, tout comme c'était l'occasion pour Hans de montrer à quel point il était polyvalent. Le jeu des lumières était là pour rappeler l'atmosphère du film mais aussi pour montrer qui jouait et quel rôle il jouait dans la mélodie. Le gars a même carrément ramené le type qui faisait la chanson d'intro du Roi Lion. Mais le vrai type hein ! Et quand il s'est mis à lancer ses premières notes de chant, la salle est devenue totalement folle ; même moi qui n'en a pourtant rien à carrer du Roi Lion.

Ah ça oui ! J'en avais eu pour mon argent ! On le voyait le pognon ! Il était partout ! Toujours au service de la musique, de la technicité, de l'accessibilité. Chaque élément était une pièce qui donnait de l'ampleur au matériau de base et qui rajoutait au grandiose.

Cette logique-là, c'était ce que je retrouvais jadis dans le cinéma états-unien.

Et si – bien sûr – tout ça participait à une gigantesque démonstration de puissance au service du soft power états-unien, il n'empêchait que la démonstration était là, et la puissance de l'œuvre aussi.


Le Parthénon n'est pas moins bien réalisé sous prétexte qu'il l'a été au service du rayonnement politique d'Athènes sur ses alliés. Eh bah, pour moi, c'était la même chose pour le blockbuster d'action des années 80 et 90.

Avant, c'était certes tout aussi régressif, mais ça avait le sens de la mesure, et tout l'argent investi l'était au service de l'ampleur et du grandiose.

Aujourd'hui où en est-on ?

Où est la puissance états-unienne investissant le cinéma à grand spectacle ?

Où est cet Hercule qui pliait ses douze travaux d'une main dans le dos et un M16 dans l'autre ?

Au lieu de ça, on a désormais un cinéma obèse qui a perdu toute notion de la mesure et du goût.

Il ne s'agit plus d'aller plus loin et plus haut, mais juste d'en mettre davantage partout et tant pis si tout ça dégouline de toute part telle une flaque immonde.


Voilà donc le terrible constat que je tire de ce The Fall Guy.

L'histoire d'un colosse de Rhodes chutant sous le poids de sa propre masse graisseuse.

Encore une fois ça me rend triste.

Quitte à subir un colosse, je préfère encore que celui-ci soit badass.

Parce que bon, les gros bibendums sur-maquillés, moi je trouve ça tout de suite moins classe...

Créée

le 24 mai 2024

Critique lue 266 fois

12 j'aime

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