Qu'on se le tienne pour dit, je suis un nerd, je hais le sport, j'ai des lunettes à quadruple foyer, des livres sans images plein ma bibliothèque, des tablettes de chocolat kronenbourg fourrées aux éclats de noisette, la détente d'un corgi unijambiste et l'endurance d'Homer Simpson dans ses bons jours, je suis convaincu que le sport a été inventé par des entités maléfiques pour torturer l'humanité et lui faire payer les péchés de ses vies antérieures. Chaque cours d'EPS à l'école fut une souffrance de chaque instant, n'ayant que peu de prédisposition pour le jeu collectif, et encore moins de coordination entre mes membres, qui ont toujours semblé vouloir vivre pleinement leur indépendance chacun de leur côté. Et même à la télévision, je ne supporte pas : la mise en scène est nulle (à part quand Neymar est de la partie, c'est le nouveau Francis Huster), les enjeux sont niveau Boule et Bill (et plutôt Bill que Boule, du reste), les développements scénaristiques sont prévisibles et la narration limitée à sa plus simple expression. Je parle ici des matchs et des compétitions mais même Olive et Tom, ils n'auraient pas eu de coups spéciaux pyrotechniques à la Dragon Ball Z, j'aurais lâché l'affaire.
C'est vous dire si Slam Dunk, de base, niveau baballe, ça m'en touche une sans me faire bouger l'autre, même s'il est évident qu'on ne peut pas mettre tous les sports dans le même panier (badum tsss).
Bien sûr, le vieil otaku en moi ne peut qu'apprécier sans modération le graphisme d'Inoue, la sophistication orientalisante de son trait à la lisière de l'estampe, la puissance tranquille de ses vagabonds à la barbe de trois jours, la richesse de ses livres d'art si bien nommés, et puis Slam Dunk, c'était le Shonen Jump de mon adolescence, l'âge d'or, un titre d'ores et déjà mythique dans les années 90, ballon ou pas ballon, c'était très accessoire, peu importe le sujet pourvu qu'on ait l'ivresse... mais de là à envisager sereinement d'aller passer deux heures à regarder de gentils loubards en 3D se lancer des bidules oranges en dragouillant dans les vestiaires, il y a trente ans d'écart (ouch).
Seulement voilà, je suis en couple, on ne sait pas trop comment ni pourquoi, Mulder et Scully travaillent là-dessus depuis un bail mais il n'empêche : ce que femme veut dieu veut - et moi aussi, par la même occasion, parce que je n'oserais jamais contrarier ni l'un ni l'autre, dans la mesure où je les crains en égales proportions. Raison pour laquelle je me suis retrouvé convié de force à cette avant-première locale en petit comité, prêt à accomplir stoïquement mon devoir conjugal, faisant contre mauvaise fortune bon coeur en me disant tout de même que ça aurait pu être bien pire et qu'elle aurait pu me traîner au Parc des Princes ou écouter Aya Nakamura. Tout bien considéré, je ne m'en tirais pas si mal, et puis c'est Inoue qui a tenu à réaliser le film, au terme de près d'une décennie de maturation, alors qui sait ?
Peut-être y trouverai-je assez de qualités pour prendre mon mal en patience ?
Dès les premières images, je soupire d'aise. Certes, la 3D jure un peu, il faut du temps pour passer outre, mais elle a fait l'objet d'un réel effort esthétique, visant ouvertement à transcrire à l'écran la maturité du style de l'auteur sans le dénaturer, lui conférant une dimension organique qui contrebalance partiellement son caractère artificiel, à mi chemin entre production de masse et expérimentation arty façon festival d'Annecy. Or force est de constater que le résultat convainc la plupart du temps, offrant parfois même son lot de plans et séquences sublimes, étourdissantes sur grand écran, tout en autorisant des mouvements d'une vivacité sur-naturelle, fluides d'un bout à l'autre du terrain - tour-à-tour champ de bataille, scène de théâtre et piste de danse, au long d'une représentation portée par la frénésie rock d'une bande sonore à la rage hypnotique.
ça court, ça saute, ça se jauge, se bouscule, se défie, se surpasse sans cesse, sans retenue, le résultat est intense, haletant, on se surprend parfois à retenir son souffle, tant sont parfaitement simulées (supposè-je) les sensations qu'on peut éprouver en assistant à un match d'anthologie - lesquelles m'étaient jusque-là étrangères.
Mais si belle que soit la démonstration de force, dont les moindres mouvements sont pensés au dixième de seconde près, c'est par la structure de son récit qu'Inoue impressionnera le plus, tant il maîtrise (au sens fort du terme) son cadre et ses enjeux, qu'il exploite avec une rigueur d'orfèvre, sans jamais en faire trop ni pas assez, toujours dans le ton juste et le timing parfait. Qu'il s'agisse de l'intelligence avec laquelle il réécrit son oeuvre et la condense pour n'en conserver que le cœur vibrant, ou son choix de laisser judicieusement son protagoniste sur le banc de touche (ou presque) afin de dépouiller son récit de tous les tropes "shonen" susceptibles de l’alourdir, tout concourt à braquer les projecteurs où le réel affleure et où les drames humains se nouent, pour mieux dépasser son propos et mieux y revenir encore.
Le match n'est plus un match, dès lors, c'est une épreuve, une catharsis, un deuil, une bénédiction, une leçon de vie, une communion, une révélation (au sens mystique du terme), une partition physique dont chaque acteur sonne juste autant qu'à sa place, dans son rôle, théâtral autant que sportif, sans excès ni négligence, chacun s'imposant naturellement comme le pivot d'un pan de récit dont le match se veut la résolution, individuelle autant que collective. Un exercice de style mené à cent à l'heure, sans exclure ni délicatesse, ni intériorité, ni même une certaine forme de poésie nekketsu toute en testostérone, malgré la sueur et les moments bravaches décalés (jubilatoires), servi par un story-board et une mise en scène exemplaires, mécanique d'horlogerie émotionnelle autant que cérébrale comme on n'en voit que trop rarement, pour un long métrage animé s'adressant autant aux néophytes qu'aux fans de la licence, aux amoureux du sport qu'à ceux qui y sont réfractaires. J'ai testé pour vous.
Inoue ne se contente pas de donner à voir, c'est son récit lui-même qu'il construit comme un match en bonne et due forme, où il déploie ses personnages et ses séquences comme autant de joueurs surdoués dont il serait le coach, créant une synergie qui n'a rien à envier à celles que ses fils spirituels de papier déploient sur le terrain, bouclant la boucle, traitant l'écriture comme un sport à part entière, qu'il pratique au plus haut niveau.
Une prouesse narrative et cinématographique à la portée de lui seul, sans doute, à des lieues du produit commercial que l'on aurait pu craindre et que ce film aurait été en d'autres mains, tant l'auteur y donne tout, sans s'économiser, avec une générosité proche de l'abnégation, livrant une oeuvre-somme qui est à sa carrière ce que le match lui-même est à l'équipe de Shohoku. Le tout pour le tout, un baroud d'honneur, le bilan d'une vie consacrée à l'art, la somme d'une expérience créative, toute entière portée vers un dépassement.
Comme il le dit lui-même, par personnage interposé, malgré l'âge et le temps qui passe : son moment.
Il est sur le terrain, symboliquement, tout le long du film. Il transpire avec eux. Souffre, les soutient, les porte, les encourage, passionnément.
Et le public en fait de même, par extension.
A tel point qu'il quittera la salle épuisé, essoufflé, hagard. Mais transfiguré.
C'est donc ça, la beauté du sport ?