Samedi dernier, j'aurais pu aller faire les soldes. Profiter de l'ambiance surchauffée d'un centre commercial anonyme pour ressortir habillé exactement comme ceux qui n'auraient pas manqué d'acheter exactement la même chose que moi – le bon goût ne peut être qu'imité. J'aurais pu aussi faire du sport. Mais la dernière fois que j'ai fait du sport, en Terminale, c'était une épreuve de barres parallèles comptant pour le baccalauréat. J'avais eu 2.
Alors une fois de plus, j'ai préféré jouer à l'intellectuel et me suis dit « Un documentaire retraçant la carrière de Robert McNamara, avec Robert McNamara dedans, ça en jette ». Et puis j'adore l'histoire, chacun ses tares.
Mais qui est ce Bob ? Un homme de l'ombre. Mais quelle ombre ! Pendant la Seconde guerre mondiale, il a participé à la planification des bombardements sur le Japon, grâce à des études statistiques d'efficacité et de rendement des avions – comme quoi, Harvard, ça n'est pas du vent. Sur ce sujet, il dit sans ambages "L'utilisation des bombes incendiaires – qui ont détruit plus de 50 % des villes japonaises bien avant la Bombe – nous aurait valu une comparution pour crimes de guerre si nous avions perdu". Vous me direz, si les Japonais ne construisaient pas leurs maisons en bois, ils n'auraient pas ce genre de problèmes, certes.
Après ses exploits asiatiques, il avait choisi une planque tranquille comme président de Ford. Et là, une certain John Fitzgerald Kennedy l'appelle pour lui demander d'être secrétaire de la D éfense de son administration. Ca tombe bien, la guerre du Vietnam s'annonce. "Allo, Bob ? Ouais, c'est John, le beau gosse, je sais que t'y connais pas grand-chose en armée mais j'aime bien me la péter avec des collaborateurs surdiplômés, ça te branche de bosser pour moi ? Oui ? OK. Merci, à plus ! Excuse moi, je dois aller faire les soldes au centre commercial de Dallas. Jackie m'attend dans la décapotable"
En onze leçons, le bon Bob retrace ainsi sa modeste carrière. Explique comment il a optimisé les bombardements sur l'Allemagne et le Japon, pourquoi la guerre du Vietnam repose peut-être sur un malentendu et autres détails sans importance. A 85 ans, il porte un regard lucide sur sa vie, sans rien renier, froidement. Il aurait pu être un simple Président de la World Company Ford. Il a choisi d'aider son pays.
Froidement, il répond aux questions qu'il aurait aimé qu'on lui pose et non à celles qui lui sont posées. Parfois, l'émotion point, quand il parle de Kennedy, ou des morts au Vietnam. Jamais, il n'est pris en faute.
En 1h50 on en apprend plus sur le fonctionnement du pouvoir américain qu'en huit ans d'administration Bush. Ca glace le sang mais c'est du grand cinéma. Sans acteurs, sans effets spéciaux. Juste un homme, son histoire, l'Histoire et des images d'archives.
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