Une des nombreuses improbabilités émaillant l'histoire de l'art est qu’un des plus grands amoureux de la culture française dans ce bas monde est texan et qu'il a su restituer l'essence de ce qu'elle est (ou de l'idée que l'on s'en fait !).
Wes Anderson respecte son style à 100 %. Symétrie, acteurs et actrices paraissant figé(e)s comme des marionnettes, le rétro (d'ailleurs, le sujet est parfait pour que ce dernier s'y épanouisse !), ses teintes pastel, mais au sein même de cet aspect visuel unique et reconnaissable entre mille, il y a un noir et blanc rappelant le plus souvent la Nouvelle Vague et des couleurs vives agressives (contrastant avec le pastel !) semblant sortir tout droit d'un Godard des années 1960 lors de l’épisode Mai 68 (deuxième sk. Je ne vais pas mentionner toutes les (nombreuses !) références au cinéma de l'Hexagone. D'abord, parce que cela prendrait une multitude effroyable de lignes qui finiraient par être lassantes à taper (ainsi qu'à lire !) et aussi parce que je pense que je suis passé à côté d'un beau paquet d'entre elles.
Le récit prend la structure de ce qui pourrait s'apparenter à un film à sketchs avec le fil conducteur que ce sont les chroniques d'un journal (situé dans la charmante ville d'Ennui-sur-Blasé !) sur un fantasme de France du passé qui, comme son propriétaire (du journal, pas de la France !), n'est plus. C'est enrobé d'un prologue et d'un bref épilogue. C'est inévitable, pour ce genre de narration, que l'on tombe dans l'inégalité. Reste que je ne peux qu'être admiratif du début jusqu'à la fin des impressionnantes et foisonnantes imagination et fantaisie du réalisateur que ce soit sur le plan de l'image que sur celui de l'histoire (ou des histoires pour le coup !). C'est tout un festival. Je ne vais pas m'étaler dessus parce que là aussi ce serait pénible de tout taper (ainsi que de tout lire !), mais c'est admirable de ces points de vue là.
Je regrette juste qu'inévitablement certains acteurs et actrices du staff journalistique soient négligé(e)s. Malheureusement, cela ne pouvait pas être autrement. Il y a trois chroniques, donc trois journalistes, donc deux actrices et un acteur. Plus et l'ensemble aurait été trop long. Donc tant pis pour Elisabeth Moss ou encore Jason Schwartzman, tant mieux pour Tilda Swinton, Frances McDormand et Jeffrey Wright.
Par contre, le défaut qui aurait pu être corrigé, c'est le manque de temps de présence de Bill Murray (on n'a jamais assez de Bill Murray de toute façon !). Il apparaît trop peu. Cela aurait été intéressant de voir plus souvent le rédacteur en chef soutenir ses journalistes, même de le voir au moins une fois dans chaque sketch. On le voit dans le troisième et dernier du lot, critiquant, modifiant, mais bienveillant et encourageant. J'aurais voulu voir cela dans les deux premiers, voir ses relations avec les personnages de Swinton et de McDormand. Cela aurait ajouté un beau poids émotionnel au tout, soulignant encore plus le vide que laisse le défunt, sans trop alourdir la durée et peser sur la patience du spectateur.
Autrement, pêle-mêle, dans la globalité de l'œuvre, j'ai envie de citer ces moments figés comme une photographie, surtout lorsque la violence se prépare à éclater, soulignant combien les événements peuvent avoir une existence brève tout en gravant la mémoire pour longtemps, un acteur prenant la place d'un autre dans une même séquence pour prêter ses traits au même personnage, devenu subitement plus âgé (pas de dissimulation de l'artifice artistique, au contraire, c'est assumé ostensiblement ; en gros, Anderson a peut-être vu Le Destin Fabuleux de Désirée Clary et le Napoléon de Guitry !), cette jeunesse bourrée d'idéaux comme toutes les jeunesses qui va se faire foudroyer par la réalité (partie d'échecs pas comme les autres incluse !) et bien sûr (brillant morceau de bravoure !) une course-poursuite animée façon BD belge dans le papier gastronomique (sketch de Wright !) se transformant par le fait des circonstances en reportage sur un kidnapping rocambolesque.
Je m'abstiendrai d'aborder les noms composant la distribution, de peur de piquer un orgasme cinéphile un peu trop fort, risquant de subir un sort identique au Chef de l'Etat français, Monsieur Félix Faure. De toute façon, c'est habituel pour Wes Anderson d'avoir des castings de gros malade qui tue.
Que dire de plus, car il y en a trop à dire (largement de quoi rédiger une thèse !). Ben, allez faire un tour à Ennui-sur-Blasé, ça a l'air vraiment sympathique. Et j'ai crié, j'ai crié... (et merde, j'ai cette chanson dans la tête, merci Wes !).