S'immerger dans un film de Wes ANDERSON c'est l'assurance de voyager dans des contrées familières, on pourra y trouver des sujets variés, des thématiques différentes mais Anderson et son maniérisme sont toujours et même systématiquement présents. "The French Dispatch" ne déroge pas à la règle, mais une fois de plus il parvient à s'autociter à se répéter mais à ne jamais lasser, à toujours trouver un moyen d'innover, une nouvelle façon d'inscrire dans sa geste cinématographique sa vision formelle. Un plan vous évoquera The Grand Budapest Hotel (2013), une scène vous paraitra une redite de L Île aux chiens (2018) mais ils seront développés, filmés et cadrés de façon inédite.
Dans la ville fictive de "Ennui sur Blasé" on s'intéresse à la vie d'un magazine imaginaire à l'attention des habitants d'une ville du Kansas d'où est originaire son rédacteur en chef, ainsi par le biais de trois chapitres et un prologue qui reprennent les différentes rubriques dudit magazine, Wes Anderson fait ici sa déclaration d'amour à la France, mais une France désuète, une France du passée dont le décor évoquera d'avantage la bande-dessinée franco-belge à la Spirou, les cases d'un "Quick & Flupke" ou d'un "Boule et Bill", dès lors l'aspect pastel de sa colorimétrie tout comme sa scénographie qui par son aspect carton-pâte citera d'avantage le théâtre et même le Guignol et ses ficelles qu'on ne tente même pas de dissimuler car partie intégrante de l'œuvre, l'art fait de bric et de brocs.
Néanmoins si on peut déceler une forme de mélancolie, le film a l'intelligence et même la politesse de ne pas tomber dans une forme de posture dépressive et vaine d'un c'était mieux avant.
Le premier chapitre dresse le portrait d'un artiste à travers les yeux d'une conférencière et ceux d'un galeriste marchand d'art, l'artiste présente la particularité d'être un condamné pour meurtres et d'ainsi réaliser ses œuvres dans le cadre régit et rigide de sa prison. Une première lecture se voudra être l'analyse d'une certaine forme de snobisme dans l'art contemporain, avec ses acteurs tous issus des mêmes moules et des mêmes prêts à penser, jusqu'au pied de nez de l'artiste qui se joue de ses admirateurs - moi j'y ai vu un clin d'œil à Banksy détruisant son œuvre après que celle-ci ait été acquise aux enchères - une deuxième lecture viendra ensuite à vous, celle de la métaphore du cinéaste lui-même, de la mise en abyme de son travail artistique y compris, comble de l'arrogance ou de la profonde intelligence de Wes Anderson, à travers ses habitus et tics de réalisation.
Le deuxième chapitre veut suivre les velléités révolutionnaires d'un jeune étudiant. Wes Anderson veut ici d'une part nous évoquer Mai 68, cette fièvre d'abord ouvrière qui fut récupérée par la jeunesse bourgeoise et dorée des grands appartements parisiens et qui n'a laissé comme héritage social bien moins que bien d'autres manifestations antérieures ou postérieures, mais a en revanche ouvert la voie à toute une idéologie néo-libérale dont les hérauts et les conséquences parasitent encore aujourd'hui la société et ses politiques. Je n'ai pas souvenir d'un film traitant de cet événement fondateur de notre société qui ne soit pas condescendant avec son sujet comme l'est ce chapitre du plus francophile des cinéastes texan, d'un film qui n'oublie pas que les revendications libertaires peuvent avoir donné l'illusion d'une société plus ouverte, mais ont surtout permis l'émergence du libéralisme, car ne nous faisons pas avoir "la liberté sexuelle" et tout ce qui en découle est loin d'avoir vraiment essaimé, il suffit de voir les réactions outrées que vit le pays à chaque réforme sociétal d'importance pour s'en convaincre. Wes Anderson délivre un discours hautement politique qui lui était jusqu'ici inédit, et c'est passionnant. Il questionne aussi le rôle des médias, l'illusion de leur neutralité.
Le troisième et dernier chapitre, à mon humble avis le plus faible, malgré d'évidentes qualités, notamment une partie en animation, et là encore Wes s'écarte du stop motion qu'il avait l'habitude de travailler pour une animation en 2D qui répondra à l'aspect bande-dessinées du début avec cette fois une ligne claire qui citera Hergé ou Edgar P. Jacobs pour achever sur une note légère son film bien plus profond qu'il n'y parait aux premier abords, tout comme les magazines s'achèvent sur des recettes de cuisine ou des horoscopes sans toutefois prendre le pas sur la ligne éditoriale et les sujets importants de son sommaire.
Je dois maintenant l'avouer, je m'attendais avec cette proposition à décocher mes flèches et à reprocher à Wes Anderson de se perdre et de se répéter ad nauseum, il n'en est rien, j'ai adoré, pour moi c'est un grand, un immense oui, "Ennui sur Blasé" m'apparait alors comme la métaphore de la réception que l'on fera de ce film, ennui et lassitude si l'on s'arrête à la manière de conter mais divertissement et allégresse si l'on creuse d'avantage.
Attention toutefois, il ne faudrait pas que ce film que d'aucuns considèrent comme son plus faible, soit celui de trop dans sa geste, il semble vouloir aborder des sujets plus graves, ne serait-il pas temps de les traiter dès son prochain film en s'affranchissant d'une partie de ses gimmicks ?