The Front Line
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The Front Line

Film de Jang Hoon (2011)

고지전 / The Front Line (Jang Hoon, Corée du Sud, 2011, 2h13)

S’il est bien un sujet duquel s’est emparé l’industrie cinématographique sud-coréenne, c’est tout naturellement la Guerre de Corée, qui déchira le pays de 1950 à 1953. Opposant le Nord communiste au Sud capitaliste, cette guerre fratricide, fondamentale dans la formations des deux Corée contemporaines, elle s’achève sur un compromis, celui du 38ème parallèle, laissant le pays divisé.


Source d’inspiration pour un grand nombre de production, c’est dans cette tradition que se situe ‘’Gojijeon’’, traductible dans la langue de Victor Hugo par ‘’La Guerre des Highlands’’. Une fresque guerrière épique, forte et virtuose, signée par un Jang Hoon, qui bien que signant ici son troisième film, s’impose comme une valeur sûre.


Il faut dire qu’il ne fait pas ici le choix de la facilité, bien au contraire. Il livre un ‘’spectacle’’ absolument époustouflant, horrifiant, où la cruauté des combats et leur indicible violence rongent progressivement des soldats qui n’en sortent pas indemnes. Là est à trouver le propos principal : l’impact psychologique des combats successifs sur des hommes qui n’en savent même plus les raisons.


Le métrage s’ouvre en 1950, par la capture de soldats du Sud par l’armée du Nord, au tout début du conflit. Un capitaine nord-coréen leur annonce alors que la guerre sera terminée en quelques jours, et il les libère, avec comme raison le fait que la nation aura besoin de tout le monde pour se reconstruire. Il leur déclare également qu’il connaît parfaitement le pourquoi du conflit.


Trois ans plus tard, la guerre bat son plein, entre négociations de cessez-le-feu et combats sporadiques sur le 38ème parallèles, aucunes des deux armées ne semblent prête à déposer les armes. Un véritable jeu d’échec meurtrier se joue alors dans les collines du centre de la péninsule. Entre pertes et reprises de territoire, avancées et reculs, la guerre ressemble de plus en plus à une guérilla approximative aux enjeux des plus brumeux.


L’arc narratif principale s’articule autour des péripéties d’un régiment, et plus particulièrement sur Eun-pyo, à travers le regard duquel sont montrés les combats. Lieutenant dépêché sur place, il est chargé de mener une enquête sur le meurtre d’un soldat. Ainsi que sur la possibilité d’une taupe, qui échangerait une correspondance avec le Nord.


L’enquête n’est finalement qu’un prétexte pour Jang Hoon pour développer une vision du conflit, sans rester prisonnier de sa nature de film de guerre. Cela lui permet de présenter des personnages à la fois en avant et en arrière du front, avec cette menace omniprésente de l’ennemi nordiste, ainsi que celle de la justice du Sud, qui vient rappeler que même en temps de guerre il n’est pas permis d’agir impunément.


Avec une riche galerie de personnage des plus variées, ‘’Gojijeon’’ témoigne d’une profonde humanité au beau milieu des horreurs de la guerre et leur impact sur les hommes. Alors que chez certains cette humanité se dégrade progressivement, remplaçant la conscience par un instinct bestial de plus en plus déchainée, chez d’autre c’est l’inverse.


Pour une poignée de soldat, les raisons du conflit sont plus en plus obscurs, et au patriotisme le plus exalté se supplante l’incompréhension. L’absurdité de la situation et la vacuité du sacrifice qui leur est demandé, les entraîne dans des réflexions qui n’ont pas leur place au cœur de l’armée. Cependant, au-delà de la défense de la nation, et du sentiment patriotique, c’est plus pour leurs frères d’armes que les soldats finissent par trouver la force de se battre.


Œuvre courageuse, et peu évidente sur le papier, le résultat s’avère être un aboutissement total. Une réussite incontestable qui n’a rien à envier aux plus grandes productions hollywoodiennes. Apportant même un petit plus, dans le sens où le nationalisme souvent exacerbé des américains, laisse ici la place à une critique constructive, traduction bien plus ‘’humaine’’ d’un patriotisme qui transcende les frontières du pays.


Metteur en scène adroit, Jung Hoon possède une vision de cinéma des plus claires, déclinée au fil de ses œuvres, au travers de thématiques passionnantes qu’il cultive avec minutie. Que ce soit ‘’Rough Cut’’ en 2008 ou ‘’Secret Reunion’’ deux ans après, il démontre sa grande perception de ce qu’est l’Humain, à travers la douce ambiguïté de ses personnages.


Ainsi, il présente Young-ill, un capitaine brisé, accroc à la morphine, qui dirige sa troupe avec relaxe. Dans son campement des soldats portent des uniformes du Nord, ‘’plus chauds’’, et usent d’une sémantique communiste, et parmi se trouvent des orphelins. Alors que nombres de ces soldats sont psychologiquement instable, comme le seul survivant d’une escouade, complètement bloqué, qui demande sans cesse où se trouvent ses amis. Tous morts depuis bien longtemps.


Le lieutenant Eun-pyo retrouve dans ce campement l’un de ses anciens camarades, avec lequel il avait été capturé par le capitaine nord-coréen qui les avaient relâchés, en 1950. Alors un jeune soldat peureux, Kim Soo-hyeok est devenu avec le temps une véritable bête de guerre. Menant ses hommes avec soif de sang intarissable envers l’ennemi, mais pas que...


À mesure que les minutes défilent et que l’enquête progresse, Jang Hoon en profite pour établir le portrait du quotidien de cette troupe placée en première ligne, qui sert littéralement de chair à canon. Sous un jour analytique, il propose ainsi au public de faire la connaissance, et de suivre l’évolution, des soldats livrés à l’indicible. Sans cesse sur le qui-vive, éreinté par l’inconnu, et aucune garanti de survivre à la prochaine attaque.


C’est très frontalement que ‘’Gojijeon’’ nous plonge au cœur de séquences de boucherie. Par de parfaites variantes de toute l’absurdité de l’horreur d’une guerre, qui techniquement ne sert à rien. Le fait qu’elle s’achève sur un statu-quo, encore en vigueur aujourd’hui puisque les deux Corées sont encore officiellement en guerre, renforce sa vacuité. Rendant encore plus débilitants les décision d’une chaîne de commande sacrifiant des vies humaines en les lançant face aux marées humaines chinoises, d’un allié venu prêter main forte à la Corée de Kim Il-sung.


Lors de son ultime séquence en apothéose, véritable baroud d’honneur d’une œuvre terrible, Jang Hoon choisis de faire parler le cœur en lieu et place de la poudre. Au cours d’une courte scène prenant place suite à une rude bataille, où un onirisme morbide renvoi par une tendre ironie au constat du capitaine nord-coréen du début, pour qui les combats n’allaient pas durer. Et qui savait parfaitement pourquoi il se battait.


En 1953, pour l’armée du Nord comme l’armée du Sud, les combat sont devenus plus une habitude qu’une logique. Les véritables raisons de la division et le déchirement sont perdu de vu. C’est le même peuple qui se fait face, avec une langue et des coutumes en commun. Ce sont parfois des frères, des parents, qui se retrouvent armes à armes, prêt à se trucider. Pour quoi ?


‘’Ui-hyeong-je’’ n’apporte aucune raison, ni justification, et se contentant de présenter avec une grande sagesse la mascarade d’un monde où l’idéologie, qui ne concernent finalement que les affrontements de basse-cours d’élites avides de pouvoirs. Celles qui pour assouvir leurs soifs territoriales, et prouver qu’elles pensent mieux que les autres, envoient au massacre des milliers de millier de jeunes gens, sacrifiés en masse sur l’autel du Rien.


Maîtrisé de bout en bout, le film de Jang Hoon est une magnifique réflexion sur ce que c’est que la guerre. Au spectaculaire de ses séquences il oppose la bêtise d’un non évènement, qui ne laisse que des cicatrices et des blessures, qui parfois ne se refermerons jamais. Brisant ainsi toute une population, condamnée à vivre dans les séquelles de la division.


Jamais manichéen, le temps n’est pas aux gentils du Sud contre les méchants du Nord, cette puissante fresque qu’est ‘’Gojijeon’’ brosse brutalement, mais toujours avec luminosité, cette idée que la guerre c’est vraiment de la merde. Antimilitariste, c’est par son pacifisme que brille cette œuvre, comme rarement. Loin d’une apologie ‘’à la cool’’ de la guerre, ça n’a ici rien de positif, et la seule conséquence est la destruction. Point. La terre, les femmes, les hommes, les sociétés, sont ainsi les principales victimes d’une humanité dans ce qu’elle peut avoir de plus méprisable.


-Stork._

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le 10 mai 2020

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