Ce film est un spectacle captivant et hors-normes dans la mesure où les procédés de capture de l'image sont parfaitement inhabituels quant au cinéma que nous connaissons. On dénombre trois techniques principales : la prise de vue en 16 mm (assez usuelle), la succession d'image et le film-painting. Chacune se met au service de l'ambiance en faisant appel à notre vécu. En effet, en développant des projections qui ne font pas seulement appel à de quelconques connaissances cinématographiques, David Lynch vient chercher au fond de nous des visions, des rêves, des sensations et des bribes de notre inconscient, un fond commun d'humanité ; des repères, en somme. Ainsi, on constate un incroyable jeu sur le claire obscur au service d'une puissante évocation de l'enfance par l'enfant. Le noir et blanc n'est finalement présent que lors des ébats parentaux et de la mort de la grand-mère, soit uniquement en décors naturel. Le reste du temps, les prises de vue réelles donnent une impression de noir et blanc en combinant à la fois le maquillage baroque et écœurant des personnages, un éclairage blanc et saturé que permet le studio, détachant subtilement les corps du cadre ménager (comme l'escalier menant à la grand mère, qui se résume à de profondes ténèbres). Ce "noir et blanc" laisse fleurir sur l'écran les lèvres rouges, la teinte rosée des bras ou encore les yeux et certains accessoires chez et autour des personnages. Des détails ainsi qu'une photographie vive et passionnée qui confèrent à ces scènes une intensité visuelle, une nature marquante et peu commune. Il s'agit à la fois d'un éminent contraste avec les scènes "familiales" dans la chambre du garçon ou autour de la table qu'éclaire une ampoule jaune, et d'un témoignage du goût marqué pour la peinture, chez le réalisateur, qui confère à certaines images une nature caravagesque. On se rappellera toujours des corps lumineux du garçon et de la grand mère après le visionnage du film, plus encore que des autres détails. Le réalisateur fait ici appel à notre mémoire visuelle, qui compensera notre soif de logique, de dialogues, de tout ce qui tue la poésie d'un film, le fait que tous, nous puissions nous l'approprier. Lorsque le garçon est à table avec ses parents, c'est au tour du (dé)goût d'être stimulé devant l'assiette pleine de papier éclairé par un jaune semi-chaleureux et familier : la routine fait perdre son goût aux choses et son équilibre aux êtres. Lorsque la grand mère sort de l'arbre, on est fasciné par un jeu sur la texture luisante, humide et morcelé du cœur de ce dernier. Le baiser entre la grand mère et le garçon hypnotise aussi en ce que, comme tout dans ce film, il est inattendu. On touche à tout sans rien toucher : on se concentre, on farfouille dans les tréfonds de nos esprits à la recherche de ce que cela surprend, rappel, attire en nous. Cette mise en scène obscure profite à la merveilleuse créature du court-métrage : l'arbre. On ne suit son évolution que très difficilement, et l'obscurité nous laisse l'imaginer. On note un autre outil : la succession d'image. Celle-ci aussi marque les esprits. Dans le cas de la mort de la grand-mère, on constate une fragmentation de sa douleur par la fragmentation du "débit" d'image. L'agonie n'en est que plus douloureuse. Elle évoque l'apnée, l'étouffement du seul être aimé dans son cri énorme et silencieux (les photos ne parlent pas), cri que l'on imagine, douleur que l'on imagine. Cela vient profondément de nous, pas du film, et l'on s'en rappel d'autant plus facilement. (On évoquera le film painting dans un deuxième temps.) En somme, ce court-métrage est à la fois le témoignage d'un univers "lynchien" encore méconnu au début des années 70, un univers en décalage complet avec ce que nous connaissons, et l'immense terrain vague du vagabondage de notre imagination, qui n'a pas "l'image" pour seule limite mais bien la part de nous que nous lui accordons en acceptant pleinement le film, où chaque élément sensoriel est une évocation. Cela n'empêche pas qu'on ai cette pensée : plus ce que nous regardons nous semble absurde, plus personnelle est la chose que nous fait partager le cinéaste. On en vient à s'interroger sur la source du film.
Ce film oppose deux réactions: Lynch est-il un merveilleux symboliste conscient, engagé et rationnellement compréhensible ou alors se contente-il de nous montrer les gribouillages fous d'un magicien prisonnier dans son esprit ? Dans le premier cas, tout trouve un sens. Il pourrait s'agir d'une illustration par l'enfant de l'incohérence, de l'absurdité, du déséquilibre de sa vie sous les ordres de ses parents. Ainsi le garçon est vêtu comme un adulte, en costume, quand le père est en t-shirt. Les rôles ne sont pas physiquement pris en compte. De la même manière, dès le début, l'enfant qui naît de la terre, comme ses parents, (naïveté biblique et soulignée de l'enfant) n'est pas accepté. Il est violemment rejeté. Sur la table, où une lampe classique de bon goût mais inadaptée au contexte esthétique vient signaler les origines ou l'hypocrisie, le paraître du couple, l'enfant ne sait pas s'il doit manger ou non, et est dans tous les cas violenté par ses parents. Cela ne signifie pas que les parents sont fous, mais plutôt que l'enfant ne les comprend pas. Une tâche orange et grandissante sur son lit semble être le symbole d'une incontinence et d'une angoisse à la fois, toute les deux propres à l'enfance, et aussi dans la mesure où sa chambre apparaît comme un lieu de "torture" paternelle et d'incarcération. Sans raison. Aussi, symboliquement, tous, ils s'expriment par des cris et des grognements d'animaux. Stade de l'humanité exacerbée : voilà ce que cherche David Lynch, en nous lisant son histoire par les yeux de l'enfant. Arrive la grand mère. Ici, l'enfance veut considérer le personnage non pas comme la sympathique mère de sa mère ou de son père, mais comme la femme de l'étage d'au dessus, qui y est née et qui y mourra, un être absolument dévoué à l'enfant, et dont le rôle se résume à l'enfant. Ils s'embrassent, sans crime mais par amour : le "lien" familial est à nouveau nié, ou au moins dépassé. Le titre "la Grand mère " semble être la seule intervention consciente et rationnelle du cinéaste, à la vu d'une histoire raconté par un enfant. Au point que la mort de la vielle provoque chez les parents, aux yeux de l'enfant, un fou rire. Le prennent-ils pour un fou pour s'être inventé une figure aimante ? Sont-ils, sinon, absolument cruels ?
Sans doute cette œuvre nous offre t'elle directement plusieurs degrés de lecture. Celui de la photographie et celui de la peinture. On connaît déjà celui de la photographie : un monde merveilleux et truffé de références sensorielles pour un enfant perdu sur le plan affectif, et qui fait appel à chacun des souvenirs de notre propre existence. Celui de la peinture pourrait s'apparenter à l'inconscient ou à l'imagination de l'enfant. Les morts n'y meurent pas et les vivants y meurent. D'autres symboles y vivent, notamment basé sur l'idée du sacrifice de la mère pour le garçon. C'est un monde dans un monde. Une boîte, qui a son propre soleil, son équilibre en somme. Elle se suffit à elle même, de même que la grand mère se suffisait à la chambre de l'arbre. Sordide réflexion sur l'éternel cloisonnement entre rêve et réalité.