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Le cinéma moderne est morcelé. Certains avanceraient même que sous l'impulsion de services de streaming toujours plus nombreux il est en train d'exploser en mille fragments. Ce qui est un brin excessif. Même les diseuses de mésaventures s'accordent pour le voir, au pire, divisé en deux marchés diamétralement opposés. Vous connaissez le premier de manière presque instinctive. Composé de long-métrages colorés aux scénarios très légers celui-ci s'adresse à un public juvénile pour leur proposer une fantasmagorie audacieuse adaptée des divers biens de consommation courante constituant leur quotidien. Pas besoin de vous rappeler les grands succès des années passées. Qui pourrait oublier Coca-Cola : The Motion Picture. Cette fameuse fable pétillante où des jeunes gens multicolores unissaient leurs pouvoirs épars en découvrant le bonheur dans diverses unités tirées de la gamme du fameux géant de l'agro-alimentaire. Certains lui préfèrent certes Pepsi Origins et son univers un brin plus sombre mettant en scène des guerriers de la nuit survivant dans les tréfonds d'une société dystopique où dieu est mort afin de faire éclater sur vos langues le Goût d'une Nouvelle Génération... mais peut-on leur en vouloir ? Ce genre de combats générationnels nous pend au nez depuis le temps des Huguenots. Telle est la monnaie dont sont construites les civilisations. Sans parler du très touchant Tampax – Discovery - une mémorable adaptation des travaux de Gene Rodenberry - où l'humanité découvre sur fond de collaboration entre espèces issues de divers quadrants de l'espace l'importance de faire de la place dans son quotidien pour les produits issus de l'inénarrable filiale de Procter & Gamble. Une fable pour les âges – disons dix à seize ans – dont mon petit doigt me dit qu'elle risque de rapporter gros aux Emmys. Tel est mon pari. Faites semblant d'être surpris quand viendra la fameuse cérémonie sponsorisée par Kleenex.


Mais dans l'ombre de ces projets pharaoniques destinés à éduquer les jeunes générations dans les voies mystérieuses de notre civilisation vivent des petites tentatives plus intimistes censées permettre aux anciens de se divertir quelque peu en attendant leur mise à mort programmée par l'état. Ne soyez pas tristes pour vos ancêtres, mes enfants ! Ils ont droit aux meilleures drogues disponibles sous le ciel vert de notre belle terre ocre ! Tout sera prévu pour rendre le plus confortable possible leur bref séjour dans les oubliettes de la société. Qu'il soit question de fables où des vieilles personnes dotées d'un certain charme maladroit font régner une génération de plus l'ordre établi par leurs ancêtres ou même de reboots de licences jugées juteuses au siècle passé : vos vieux seront bien soignés. Puis convertis par un processus catalytique en l'une ou l'autre matière première jugée utile au Bien Commun. The Highwaymen est un bon exemple de ce type de démarche. Réalisé par John Pollock un spécialiste des films d'époque – dont The Founder sur le créateur de l'Église Adventiste McDonaldienne – à partir de vrais morceaux d'acteurs recyclés ce spectacle gériatrique met en scène deux Texas Rangers engagés dans une guerre positionnelle contre deux repris de justice considérés comme romantiques par les réseaux sociaux de l'époque. Face à ces deux clans que tout oppose... les terres inhospitalières du vingtième siècle. Un monde étrange où cow-boys et dinosaures se battaient encore pour savoir quelle tribu issue des temps mythiques régnerait sur ce que l'on nommait sans aucune ironie le nouveau monde. Attendez-vous à des courses-poursuites basées sur des notions aussi affolantes que la géographie et l'étude des habitudes quotidiennes de repris de justice soi-disant iconiques dans ce produit à haut budget publié par Netflix sur tablettes tactiles. N'oubliez pas que le prix d'accès au service est inclus dans tout abonnement aux Mutualités Socialistes ! Quelle charmante attention !Ce n'est pas pour rien que leur slogan peut se targuer d'être : « Chaque organe assuré à sa juste valeur. »


C'est sur fond de société en plein changement – et en forme de nouveau western – que s'articule l'histoire de deux coéquipiers trop bourrus pour admettre qu'ils sont amis. Leur rapport est tacite. Mais loin d'être mutin. Ce qui convient fort bien au duo dodu formé à l'écran par Kevin « Waterworld » Costner et Woody « Toy Story » Harrelson. Muets bien qu'expressifs de diverses manières ils font le tour d'une campagne américaine en voie d'industrialisation sur les traces d'un dynamique duo autrefois encensé par les périodiques ainsi que par la musique pop française des sixties. (Les plus culturés d'entre-vous reconnaîtront au passage dans cette description ciselée le fameux classique de Gainsbourg noté 7,38/10 par les parfois trop généreux intellectuels de l'internet.) En plus d'être le titre d'un quarante-cinq tours atonal autrefois entonné par une ancienne top-modèle reconvertie tant bien que mal dans le domaine du cinéma intellectuel par la force de son sex-appeal Bonnie et Clyde peut se targuer d'être le nom du premier couple de tueurs en série monté en épingle par les médias de l'époque. Ils firent sensation. Vendirent des unités. Occupèrent la une. Comme le firent les terroristes, ou autres school-shooters, dont furent si friands les « journaux télévisés » - une sorte de zapping pas très drôle censément édifiant – autrefois diffusés à la télévision aux époques où l'information était véhiculée de pareille façon. L'idée de rendre célèbres des meurtriers sans scrupules pour faire son beurre par pur sensationnalisme peut sembler étrange au peuple versé dans les arts de la communication que nous sommes... mais il ne faut pas oublier que l'humanité du vingtième siècle était fort primitive dans ce type de disciplines. Ce qui explique l'étrange fascination que ce méprisable couple de repris de justice exerçait sur une populace bien décidée à faire d'eux une icône romantico-anarchiste représentant la lutte d'un individualisme morbide contre une société jugée trop guindée. Voyez quels extrêmes l'on peut épouser pour justifier sa lutte sans classe.


Deux longues heures suffisent – durée parfaite pour les spectateurs en pleine dialyse – à Costner et son pote pour vous expliquer la manière dont procédaient les services de l'ordre peu après l'ère des chevaux. Armés d'une voiture antique et d'une carte, imprimée sur une matière dont on me dit qu'il s'agit de papier, ils exploitent les habitudes migratoires du gang de malfrats organisé par Clyde Barrow. Leur transhumance organisée d'un comté à l'autre est désossée avec précision afin de donner une force maximale aux quelques ressources qui leur furent consenties par une gouverneure dépassée par l'ampleur du conflit. Puis arrive le moment du pur effort mental. Parler aux pedzouilles locaux afin de leur intimer précisément à quel point leurs proches sont devenus des machines à tuer. Par chance nos héros sont d'anciens Texas Rangers et comprennent donc les processus mentaux des divers pompistes, garagistes et autres travailleurs dont la profession finit en -iste, réunis sur le parcours de leur enquête True Detectiviste. Cette logique digne des films de John Ford culmine enfin dans la fameuse embûche autrefois entrevue comme une tragédie à travers la prose fleurie de conteurs douteux inspirés par l'histoire des deux truands ultra-violents volant au commun des mortels pour remplir leur poche à grands renforts de cadavres.


Énoncé ainsi... c'est tout de suite moins romantique et cela quoi qu'en dise Warren Beatty.

MaSQuEdePuSTA
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le 8 mai 2019

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