Créateur d'une chaîne YouTube sous le pseudonyme de Bitesized Nightmares, l'apprenti cinéaste canadien Kyle Edward Ball se fait la main entre 2017 et 2021 en réalisant des courts-métrages horrifiques et sensoriels en narrant les cauchemars que lui raconte sa communauté d'abonnés (plus de 50. 000 à ce jour). Avec les moyens du bord, il s'amuse à filmer les moindres recoins de son appartement et celui de sa famille, parfois en plan fixe, pour reconstituer les peurs de ses interlocuteurs, souvent enfouies au plus profond de leur subconscience depuis l'enfance.
Pour ce faire, Ball utilisent tous les outils qui regorgent sur internet, de TikTok (dont le viral #witchtok) à YouTube (où le français Mathieu Morel éditaient ses flippants courts-métrages avant de se professionnaliser) en passant par des imageboards tel que 4chan.org. De ce fait, aux quatre coins du globe, une nouvelle culture horrifique, faite de bric et de broc par manque de moyens financiers mais néanmoins ultra créative de par la débordante imagination des communautés d'internautes, se concrétise à l'image des creepypastas et autres backrooms qui passionnent littéralement les adolescents et les jeunes adultes.
Étudiant l'audiovisuel, Kyle Edward Ball surfe allégrement sur la vague et parfait peu à peu ses créations qui amusent tout autant qu'elles terrorisent sa communauté de fidèles. Quoi qu'il en soit, c'est une nouvelle façon pour lui de créer du cinéma sans moyens, suite à l'émancipation du found footage entre les griffes des majors studios et qui n'est, à ses yeux, qu'une manière has been de coller des frissons au public. Ce qui intéresse Ball, c'est le manque de repère et de lumière, le flou artistique, l'ambiguïté, l'inlassable fourmillement du grain, le sound design étouffé, les bruits étranges, les souffles…
En 2020, il produit son plus long court-métrage, Heck, qui se voit sélectionné au Videoscream International Film Festival et passionne ses spectateurs, impressionnés par l'esthétique du film propre à la culture internet et des nouveaux médias du genre. Du jamais vu au cinéma jusqu'ici… et c'est ce qui donnera l'idée au cinéaste de rédiger le scénario d'un long-métrage pour finaliser comme il se doit ce périple créatif entamé en 2017.
Suite à une opération de crowdfunding, Ball empoche les 15 000 $ nécessaires pour concrétiser son projet :
Dans une sombre maison où règne une atmosphère aussi mystérieuse que joyeuse de par la perpétuelle diffusion de dessins-animés vintages à la télévision, deux enfants, Kaylee (6 ans) et Kevin (4 ans) s'aperçoivent que les fenêtres et les portes de la demeure ont brusquement disparu, à l'instar de leur père. Venue de nulle part, la sinistre voix d'une mystérieuse entité les incite alors à faire des choses de plus en plus horribles…
S'attaquant durant 100 minutes non-stop à l'innocence d'une fillette et d'un garçonnet, Ball use intelligemment d'images granuleuses indéchiffrables où les protagonistes n'apparaissent que très occasionnellement à l'écran. Ce sont surtout leurs petits pieds et leurs douces voix enfantines et terrorisées qui sont mis en avant pour créer un malaise aussi inédit que déroutant. Avec parcimonie, Ball dresse quelques pistes explicatives (parfois une réplique, parfois un son) tout en laissant soigneusement les spectateurs interpréter le métrage à leur manière. On pense bien sûr à Lynch pour ce type d'exégèses ou encore à la pertinente double lecture de Paranormal Activity IV dont le scénario fut essentiellement signé par Christopher Landon. Des artistes et des œuvres que Ball n'a que faire, provenant pour sa part d'une contre-culture cinématographique avant-gardiste et expérimentale qui se fiche éperdument des conventions hollywoodiennes.
Et même si ce type d'expérimentations cinématographiques existe depuis la nuit des temps (je suis moi-même très friande de ce type de courts-métrages, souvent muets, projetés par une chouette association de ma ville lors de concerts de musiques électroniques (très) expérimentales -allez donc jeter une oreille sur les sons de Klara Lewis, Propan ou encore Julia Hanadi Al Abed pour savoir de quoi je parle-), c'est néanmoins peut-être la première fois dans l'Histoire du cinéma que les peurs enfantines se voient si bien dépeintes sans être altérées par l'interprétation d'un regard plus adulte (je pense ici au premier acte d'Amer du duo Hélène Cattet / Bruno Forzani, par exemple). Usant perpétuellement du "lost media", courant artistique et visuel provenant également de la culture internet où les éléments paraissant à l'écran sont non conformistes, voire même non identifiables dans leur forme, Kyle Edward Ball offre une vision tout à fait nouvelle du film d'horreur. Et comme pour toute nouveauté non conventionnelle, il faudra sûrement du temps pour qu'elle soit assimilée par le plus grand nombre de spectateurs.