Comme d'habitude, Corman tourne son film très rapidement, et avec presque aussi peu de moyen qu'à l'accoutumée. Moins de trois semaines, dans une petite ville du Missouri, état voisin (mais légèrement plus calme) de ceux où de nombreux troubles émaillent la tentative de mise en place de la loi de mixité raciale dans les écoles, voulue par l'administration Kennedy.
Car la première chose remarquable de ce film est que sa réalisation intervient en 1961, ce qui en fait un grand précurseur de tous les films populaires liés aux problèmes raciaux, qui arriveront plutôt dans la deuxième partie des années 60 (à l'exception peut-être d'un film comme la chaine, de 1958) et présente le mérite reprendre position au cœur des évènements naissants.
Et de fait, la population locale, mis à contribution, ne saura pas très bien de quoi il retourne avec ce tournage, et se montrera particulièrement coopérative et spontanée lorsqu'il va s'agir d'accueillir de manière enthousiaste les propos racistes et enfiévrés d'Adam Cramer, personnage centrale et charismatique du film. Les regards des populations du quartier noir qui voient passer les véhicules chargés de blancs cagoulés ne trompent pas non plus: il y a fort à parier que les scènes transpirent le (mal) vécu. D'ailleurs, il a été raconté que les locaux se sont montrés tout aussi pro-actifs quand il s'est agi de mettre en place une croix à bruler.
Lorsque le doute aura été propagé dans une ville à la taille trop modeste pour noyer le poisson, et lorsque chacun commence à comprendre qu'il est peut-être question d'une œuvre qui dénonce les comportements locaux plutôt que de les exalter, les problèmes s'enchainent rapidement, et la fin du tournage se montre houleuse. Il faut entre autre négocier avec le shérif local alors que les autorisations sont valides (et même tourner pendant les négociations) et choisir une école de la bourgade attenante pour pouvoir finir de tout mettre en boîte.
Car le propos est aussi ambitieux que retord. Charles Beaumont, scénariste prolifique de séries télé (dont surtout la quatrième dimension) adapte ici son propre roman, qui raconte comment un individu au visage d'ange vient réveiller les passions d'un patelin de la bible-belt qui semblait parti pour accepter malgré lui la nouvelle loi de mixité raciale, à grands coups de fake-news assumées. Aucun rapport avec l'Amérique d'aujourd'hui, ou la France de la manif pour tous, bien évidemment.
William Shater, qui n'a quasiment fait que de la télé et du théâtre jusque là, trouve ici un premier rôle dans lequel on découvre médusé un talent qu'on ne lui soupçonnera plus par la suite. Il campe à la perfection un être manipulateur et cynique, aux motivations et ressources troubles et aux faiblesses affleurantes.
Un diamant noir qui irradie d'une influence vénéneuse une œuvre puissante qui va droit vers son dénouement, ne s'embarrassant pas des fioritures qui pollueront parfois ce genre de tentative par la suite. Le tout est servi par une mise en scène plutôt classieuse compte-tenu des conditions évoquées au début.
Pas de bol pour Roger Corman (et son frère Gene, co-producteur) le film ne connaitra, au vu de son sujet, qu'une distribution erratique, aux Etats-Unis comme en dehors, et sa récompense au festival de Venise ne suffira pas à assurer sa pérennité. Ou comment l’œuvre la plus ambitieuse de son auteur, la plus politiquement engagée et la plus artistiquement aboutie sera la première à lui faire perdre de l'argent, de telle sorte qu'il ne s'y re-frottera plus, préférant ensuite adapter entre autre les nouvelles de Poe, avec le bonheur que l'on sait.
Évidemment, la scène finale pourra légèrement décevoir le spectateur captivé par les parallèles qu'il aura pu jusque là établir avec l'époque actuelle, dans la mesure où (ce n'est qu'un demi-spoil) une fois la vérité établie, la foule met fin à son mouvement vengeur. Aujourd'hui, on sait que ces mêmes foules ne veulent non seulement pas reconnaitre ce qui pourrait ressembler à des éléments factuels n'allant pas dans leur sens, mais en plus s'accordent naturellement pour fabriquer de toutes pièces les vérités utiles à leurs délires.
le destin que l'on prête à Adam Cramer est assez savoureux. Il se relève, s'époussette, et on ne doute pas une seconde que, remis de ses émotions, il va poursuivre son oeuvre malfaisante dans la ville suivante
Dernier détail: j'ai vu ce film dans le cadre d'une soirée 100% Corman, organisée par le cinéma Utopia d'Avignon que je découvrais pour l'occasion, dans des conditions particulièrement agréables (deuxième séance à l'aveugle, verre servi dans la cour entre les deux films) et le tout présenté par Michel Flandrin, journaliste local qui s'est montré aussi érudit en cinéma qu'il est expert dans le cadre du festival d'Avignon, grâce à qui je récupère pas mal d'informations utilisées ici. Une première expérience extrêmement agréable (je suis nouveau sur la ville) qui en appellera certainement de nombreuse autres.