Cette brève critique se veut un hommage, inévitable de ma part, à Roger Corman. Son enthousiasme pour filmer les sujets les plus improbables, son côté touche à tout, son absence de prétention et son indifférence aux critiques de l'establishment sont à mon avis les raisons de son exceptionnelle longévité. Mais J'ai choisi pour cet hommage son film le plus personnel, et le plus courageux pour son époque.
Un homme en complet blanc arrive dans une petite ville du Sud des Etats-Unis. Tel Zorro passé à la blanchisserie, il corrige ceux qui profèrent des propos hostiles à la communauté noire pour que l'on croit qu'il est dans le camp du « bien », alors qu'il est seulement narcissique. Il écrase de sa supériorité intellectuelle les habitants du coin et on apprend qu'Adam Cramer, c'est son nom, est envoyé par le gouvernement pour l'application des réformes visant l'intégration des noirs dans les écoles du Sud. William Shatner, l'intrépide capitaine Kirk de la série Star Trek, le héros de mon adolescence, a été judicieusement choisi pour son charisme. Et la suite devient drôle bien qu'inquiétante quand Adam Cramer enlève son masque de réformiste et se révèle au cours d'un meeting comme le pire des manipulateurs politiques, poussant à la haine raciale, excitant la communauté blanche et allant jusqu'à tendre un piège à un jeune homme noir pour le faire condamner à la pendaison.
Mais ce qui est tout aussi étonnant c'est les conditions du tournage : les figurants de la communauté blanche se montreront enthousiastes à l'écoute des propos racistes d'Adam Cramer, alors que ceux de la communauté noire auront des regards hostiles, personne ne connaissant le thème du film : la dénonciation de la ségrégation. La fin du tournage a dû être vite expédiée et édulcorée pour des raisons évidentes de sécurité lorsque des indiscrétions ont fini par filtrer. De là viennent probablement certaines incohérences comme cette balançoire incongrue ou le revirement final plutôt inattendu de la foule.
La distribution de The Intruder fut paraît-il compliquée par diverses censures et reniements, le Civil Rights Act ne datant que de 1964, deux ans après la sortie du film, et le film fut un échec commercial, un des rares échecs de Roger Corman, voire le seul. Dans son livre « Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime » (!) il n'y a pas de trace de ce film. Pas étonnant donc qu'il n'y ait pas eu d'autres films dans cette veine personnelle. Pas trop de regrets pour ma part, il vaut mieux être « le maître des films de série B », on dirait aujourd'hui les films de genre ou les films conceptuels, plutôt qu'un tâcheron lourdingue et démago des grosses productions de série A.