2e long-métrage de Fincher, The Killer est sorti, comme Mank, sur Netflix, le réalisateur étant sous contrat avec la plateforme depuis qu’il se voit refuser le final-cut par les studios hollywoodiens. Avec un scénario assez classique en apparence, le film suit un tueur qui voit sa vie millimétrée déraper, suite à une balle qui n’atteint pas sa cible, erreur fatale et surtout incompréhensible. Alors qu’il nous a habitué à des retournements de situations et de grands rebondissements (Fight Club, Seven...), David Fincher fait le choix de la linéarité pour une oeuvre pensée comme “un seul trait de pinceau”. Et pourtant, le propos est loin d’être simple. Si le personnage principal correspond bien au stéréotype du meurtrier obsessionnel, méthodique jusqu’à en être inhumain (cf. American Psycho notamment dans l’écoute en boucle d’une musique), tout l’intérêt du film est de montrer comment il refoule toute sensation, émotion, jusqu’à en être machinal : il contrôle son sommeil, son rythme cardiaque, ses apports caloriques, il est constamment monitoré par une montre connectée, et se répète inlassablement qu’il a la situation en main (sorte de mantra psychologiquement rassurant). En effet, si le film est presque muet, la voix-off permet de cerner les pensées du personnage et de comprendre cette mise à distance. Tout l’intérêt du film est de montrer néanmoins comment, derrière cet apparent contrôle, le personnage va perdre pied : la mise en scène vient donc se construire en désynchronisation totale avec les pensées du tueur et révéler sa perte d’emprise sur la situation, passant de plans fixes, lents (travelling horizontaux faisant penser à des mouvements de têtes posés) à un rythme saccadé tremblant lors des dérapages. Le travail le plus impressionnant à ce sujet est sans doute la gestion de la couleur, qui passe du jaune (stabilité, solaire), au vert (vengeance, tension) jusqu’au bleu-violet (angoisse, peur) - le tout méticuleusement pensé (couleurs de taxi, de t-shirt de figurants, étalonnage). Aussi, si le personnage semble dénoncer le système, on remarque qu’il s’y inscrit totalement (fast-food, commande amazon). L’hyperconnectivité, critiquée, est pourtant elle aussi utilisée par le personnage. Bref, une oeuvre d’une très grande qualité, qui parle, sans doute de Fincher lui-même, maniaque obsessionnel à la recherche du plan parfait et amoureux des salles de cinéma, qui sort cependant son film sur Netflix. À voir.