Les années 80 marquent la fatigue définitive des maîtres de la Shaw Brothers. Le grand Li Han Hsiang accouche de drames peu palpitants ou de softcore médiocres, Chang Cheh enchaîne les Kung Fu kitsch et/ou cheap et Chor Yuen (celui qui s'en sort le mieux des trois pendant la période) se lasse de plus en plus des adaptations de Gu Long. Les héros n'ont plus la forme, il faut une nouvelle relève. La toute puissante Mona Fong va donc tenter de recruter ce sang neuf si nécessaire à la survie du studio périclitant. Pour cela, l'ancienne chanteuse jette ses filets dans toutes les directions : Membres prometteurs de la nouvelle vague (Alex Cheung, Ann Hui), chorégraphes promus réalisateurs (Tsui Siu Ming, Hsu Hsia) ou encore piliers de la T.V.B. (Lau Shut Yue). Un de ses représentants de la nouvelle génération, c'est le peu connu Tony Liu. Essentiellement un petit acteur d'action abonné aux méchants, l'homme devient étonnamment, au début des années 80, le pilier de la Shaw Brothers dans le monde du Wu Xia Pian (6 films en 2 ans) !

Qu'est ce qui caractérise le style Tony Liu pour qu'il ait obtenu un tel statut ?
Le plus marquant, c'est son sens du rythme hallucinant. Dés ses premières réalisations, l'homme avait prouvé être capable de ne pas laisser le rythme de ses récits retomber. Ce talent allait être intelligemment mis à profit par la Shaw Brothers à travers des films comme The Master, aux combats nombreux. Mais c'est dans cette période 1983/84 que Tony Liu se lâche complètement en la matière. Pris dans un engrenage de surenchère face à la concurrence, à lui-même (il cherche à se surpasser à chaque fois) et au public (qui veut des films de plus en plus rapides et divertissants), l'ancien acteur n'a jamais poussé le bouchon aussi loin que dans Lady Assassin. C'est ainsi qu'il nous raconte en moins d'une heure trente, une histoire qui aurait facilement tenu deux heures ! Le début du film donne le la : En moins de cinq minutes, on a déjà été mis au courant de tous les enjeux du film avec une scène d'action en prime. Tout le reste de Lady Assassin sera sur ce modèle avec des scènes d'exposition menées tambour battant (la caméra ne cesse de bouger, le montage est au couteau et même les figurants semblent à moitié courir quand ils se déplacent) et des affrontements aussi nombreux que furieusement rapides.
Une telle vitesse a bien évidemment les défauts de ses qualités. Et si l'on n'a jamais un seul moment de répit, jamais un moment pour s'ennuyer, la cohérence de l'histoire en prend un coup. On ne s'étonnera donc pas de voir disparaître en plein milieu du métrage des personnages majeurs, comme engloutis dans le flot tumultueusement incontrôlable du récit à la sauce Tony Liu. Difficile de cumuler rythme haletant à l'extrême et histoire finement ciselée. Ceux qui veulent un dévellopement scénaristique plus fin se reporteront à Rebellious Reign à l'histoire identique.

Le second aspect du style Tony Liu, c'est le soin apporté aux chorégraphies martiales. Jusque là, les combats dans les Wu Xia Pian de la Shaw Brothers n'étaient pas l'enjeu majeur. Chez Chor Yuen (et par ricochet Gu Long), ils participaient avant tout au récit en apportant de nouveaux éléments à l'intrigue. Chez Chang Cheh, ils participaient à une certaine logique interne du récit pour culminer en une apothéose sanguinolente où primaient la violence et l'héroïsme plutôt que la beauté des affrontements. Tony Liu, lui, met les chorégraphies au centre de ses film. Même si son histoire réserve quelques subtilités, le traitement qu'il en fait (privilégiant la vitesse au récit et aboutissant à de nombreuses incohérences)), la fréquence des combats et le travail soigné sur leur mise en scène ne laisse peu de doute sur ce qui intéressait le plus le réalisateur. Aidé par les talentueux Yuen Tak, Tony Poon et Chung Wing, Liu propose des affrontements en tout genre : Combats de masse ou à deux, Kung Fu ou armés, câblés ou près du sol... Les chorégraphies sont intenses, exigeantes et bien exécutées. Mais cela n'est pas suffisant au goût de Liu qui ne peut s'empêcher d'y rajouter sa touche personnelle, à savoir, une vitesse supérieure. Ainsi, tous les combats de Lady Assassin sont accélérés à l'extrême ! Un choix qui renforce encore plus l'aspect frénétique du film mais pourrait dégoûter les puristes du réalisme martial.

Ces aspects très modernes que Tony Liu imprime aux Wu Xia Pian de la Shaw Brothers des années 80 sont partiellement contrebalancés par les impondérables du studio. Le réalisateur doit utiliser les ressources à sa disposition (il faut rentabiliser ces énormes studios et son armée de techniciens sous contrat) impérativement. Résultat : Si les costumes sont beaux, les couleurs chatoyantes, les décors vastes, on ne peut s'empêcher de reconnaître ce visuel et de l'associer au passé, à une époque révolue. Pas ce qu'il y a de mieux pour reconquérir un public lassé du genre.
Les acteurs sont également fournis par la Shaw Brothers puisque sous contrats. Mais afin de conserver un aspect moderne au film, et en accord avec son style propre, Liu privilégie les nouveaux talents du studio, de Norman Chu à Lau Suet Wah. Bien rodés par leurs travaux dans de nombreux rôles secondaires, tous parviennent à interpréter leurs personnages avec justesse. Cela n'avait rien de gagner étant donné le peu de moments accordés au développement des personnages.

Tony Liu a signé là une œuvre de son temps. La complexification des chorégraphies avait été une évolution de longue date pour culminer à la fin des années 70/début 80. Il était donc tout à fait normal qu'elle s'impose également dans le monde du Wu Xia Pian. De même, l'obsession de la vitesse, du rythme sont des éléments clés du début des années 80. Le public recherche ces nouveaux standard, garantis d'un spectacle excitant et foncièrement distrayant. Le style de Tony Liu est donc un mélange de goût personnel et de nécessité commerciale, adapté à son époque et raison de sa productivité aussi intense que courte en tant que réalisateur de Wu Xia Pian. Dans ce registre,Lady Assassin représente avec Holy Flame Of The Martial World son entreprise la plus folle. Celle où, afin d'obtenir enfin un gros succès au box office (qu'il n'obtiendra jamais), il a poussé ces deux éléments le plus loin possible. Le résultat est étrange, quasi décadent, avec les oripeaux de la grande tradition Shaw Brothers (principalement à travers le visuel) perdus dans un tourbillon speedé de trahisons et de combats. Les gardiens du temple, ceux qui ne jurent que par la période de gloire du studio, seront certainement horrifiés par le résultat. Mais ceux à la recherche des perles les plus étranges et fun que la compagnie ait engendré vont adorer !

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le 24 févr. 2011

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Palplathune

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