Pour son premier film, le local Joe Talbot dépeint la cité californienne et sa déplorable gentrification à travers l’histoire de Jimmie Fails, jeune afro-américain SDF attaché de tout son cœur à sa maison natale, une somptueuse propriété victorienne que son grand-père aurait construite de ses propres mains au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Accompagné de l’aspirant dramaturge Montgomery, son meilleur ami de toujours, il passe la majorité de son temps libre à réparer et redorer l’incroyable bâtisse située dans le quartier de Fillmore (autrefois surnommé “Harlem West”), jusqu’à la squatter et la remplir de son mobilier d’antan une fois ses occupants expulsés. Quand ils ne travaillent pas, les deux bonhommes combattent l’ennui en arpentant San Francisco et ses alentours en skate et observent amusés les montagnes d’absurdité normalisée qui défilent devant leurs yeux curieux, comme ce vieux cowboy tout nu qui attend patiemment le bus aux côtés de Jimmie, ou ces cinq petits durs qui jouent sans cesse à se provoquer entre eux en bas de chez Mont.
Autour de cette simple histoire de maison et d’amitié gravitent tous les déséquilibres actuels d’une ville qui semble désormais avoir perdu son âme, progressivement privée de son propre héritage culturel et de la communauté noire qui a contribué à allumer sa flamme et à ériger ses murs. En effet, les révolutions sociales et symboliques qui fondaient le rayonnement de San Francisco paraissent bien loin alors que se multiplient les écarts de classes au sein de sa population, chassée de ses propres quartiers car elle n’a plus les moyens d’y payer le loyer. Le constat est terrible car c’est tout un écosystème qui se meurt à petit feu, au profit d’un grand tout qui n’y respecte rien, comme une liane qui enserrerait un arbre jusqu’à l’étouffer. Lors d’une épique scène théâtrale, le film pousse Jimmie à se libérer des étiquettes qui entravaient sa construction identitaire: une maison, une couleur de peau, une place sociale.
Ce lourd tableau est chargé en émotion et en poésie, et enveloppé d’une bande originale de velours empruntant autant au gospel de rue qu’aux ensembles de cuivres brass band qui respirent l’Amérique de l’espoir et des fanfares. En fin de compte, de ce drame contemporain à la mélancolie ambiante se dégage une ode poignante à ceux qui rêvent, mais aussi et surtout à ceux qui choisiront toujours de croire.
Pour le plaisir.