(ultra) Light my fire
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le 18 déc. 2019
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Il y a de cela trois ans, Robert Eggers avait pour projet de ramener à la vie, ou du moins à l’écran, le comte Orlock par le biais d’un remake de Nosferatu. Tentative avortée. Mais, force est de constater que l’esthétique expressionniste de Murnau n’aura eu de cesse d’hanter le metteur en scène qui, avec The Lighthouse, livre un cauchemar marin formaliste, lourd en références, témoignant autant de l’ambition démesurée du jeune réalisateur que de son grand plongeon vers un style pompier. Une déception certes, qui demeure cependant dans sa nature un intéressant cabinet de curiosités à visiter.
Par son titre, The Lighthouse instaure son cadre : il s’agira d’un huis-clos, par sa distribution, cela sera un isolement masculin. Un décor, un contexte, de tout cela émerge une impression claustrophobique où Eggers érige le lieu comme personnage à part entière, aux côtés des deux monstres que sont Willem Dafoe et Robert Pattinson. Monstres de cinéma, mais pas seulement, monstres tout simplement et ce à plusieurs degrés. Monstruosité de l’être humain, monstruosité surnaturelle. Le réalisateur filme ses comédiens avec une grande proximité, réduisant à auteur d’homme cette curiosité. La mise en scène est surplombée par l’ombre de l’expressionnisme : les acteurs multiplient les excès dans leurs gestes et mimiques, comme si le mot avait perdu sa pertinence. Tout n’est ainsi qu’exagération. Pourtant, Eggers abuse de la parole, alourdissant chaque séquence d’un poids verbeux qui se réclame d’une poésie romantique et théâtrale, entre Shelley et Byron, et renforce la dimension bon élève que souhaite se donner le réalisateur. C’est cette lourdeur qui entache ce huis-clos créant autant une tension qu’un poids, celui d’une ancre entraînant le film vers les abysses dans lesquels il sombre.
Par ce biais, le réalisateur développe cette confrontation virile, toutes les dynamiques associées sont abordées : du père au fils, aux amis, aux amants. Toute présence féminine n’est plus qu’un fantasme chimérique, ramenée à la sexualité et à l’étrange. Elle est réduite à un objet, fascinant par sa différence avec la norme masculine, la rendant immédiatement attirante et attractive aux yeux du protagoniste interprété par Pattinson. Cette présence féminine prend diverses formes au cours du film, à commencer par une sirène, pour se déshumaniser progressivement avant de devenir l’incarnation métaphysique de l’inconnu. Une dite présence symbole de la lourdeur dont souffre le film, tant Eggers montre tout, sans subtilité, ni part de mystère. On dévoile, on expose, on ne cache rien dans un mouvement en cela pornographique et sans fond. La sirène est réduite à un corps, intriguant par sa spécificité mais dénuée de toute fantasmagorie. Comment l’imaginaire peut-il alors subsister, ou même germer, quand la caméra s’attarde sur son anatomie jusqu’à représenter son sexe au cours d’une scène. La créature des légendes n’est plus qu’un hybride scientifique entre une humaine et un poisson.
La figuration de la sirène demeure également révélatrice de cet hommage appuyé à un expressionnisme cinématographique, de Murnau à Drayer. Les éléments naturels dans tout leur déchainement ouvrent le film, entre ombres et lumières. Ces premiers plans larges illustrent à la perfection la beauté de la pellicule 35 mm en noir et blanc choisie. La photographie frappe par le mariage qu’elle propose entre sublime et grotesque, thème principal du film. Les premiers plans sur l’île se succèdent et il est facile d’être envouté par ce décor gothique. Pourtant, jamais le lieu ne devient angoissant pour le spectateur. S’il est érigé un temps comme personnage, le sentiment d’un amas de références le ramène à sa nature artificielle de décor, et renvoie le film lui-même à sa plus lourde faute : son emphase pompier. Moult plans se veulent symboliques mais s’enferment dans leur dimension métaphorique, au détriment de toute subtilité et créativité, comme celui censé illustré le mythe de Prométhée. La mise en scène met l’accent sur la pose des personnages, sur une exagération des corps, comme si l’inspiration n’était pas assez évidente. Chaque détail fait l’objet d’une attention particulière qui in fine a perdu tout soupçon de finesse.
La symphonie de l’horreur composée par Murnau en 1922, si épurée et simultanément si visuelle, apparaît pour Eggers comme une divinité à atteindre et le véritable Prométhée du projet se relève être le réalisateur, pensant pouvoir transmettre le feu de la création des origines du cinéma. S’il serait exagéré de dire qu’il avait péché et fait preuve d’hybris, il se brûle pourtant en reproduisant sans réflexion les œuvres de ses maîtres. Et par delà le cinéma, cet échec est perceptible dans les emprunts à la littérature, notamment et surtout lovecraftienne. Si s’inspirer de la mythologie de Cthulhu s’est toujours relevé comme quelque chose de délicat sur grand écran, notre jeune metteur en scène saute les deux pieds dans le plat, oubliant au passage que l’horreur chez Lovecraft reposait sur son incapacité à être décrite. Certes, l’étrange n’est jamais entièrement représenté au cours du film, pourtant Eggers s’oblige à réaliser une scène de cauchemar, multipliant les visions de tentacules et de créatures marines. Loin de toute ambiguïté, la séquence de révélation paraît interminable et sans invention visuelle. Une déception supplémentaire pour un long-métrage qui avait pourtant érigé la forme comme son cheval de bataille.
Chaque séquence clef rappelle au film combien ses problèmes, son incapacité à dépasser ses références pour proposer un produit scolaire dénué de fond, sont flagrants et s’accentuent au fil de l’intrigue. Mais, plus encore qu’un académisme, de The Lighthouse surgit un manque criant de maturité. Eggers est un enfant incapable d’exprimer pleinement son potentiel et qui s’enferme dans sa chambre avec ses mêmes jouets, ceux déjà utilisés à foison, et surtout inapte à traiter les thématiques sérieuses qu’il revendique, à commencer par la chute vers la folie du personnage de Pattinson. Le brillant acteur déclame ses répliques mais ne transmet aucune intensité dans ses émotions, malgré un jeu excessif se réclamant, encore et toujours, de l’expressionnisme. L’alchimie entre les deux ne fonctionne pas et la descente mentale et physique vers les enfers apparaît autant artificielle que le reste.
Peut-être l’échec réside-t-il dans ce mariage impossible et contre-nature des deux pionniers du cinéma d’horreur : le muet allemand, donc, et les débuts du parlant avec les productions du studio Universal. Certes, ces deux mouvements ont des éléments en commun, le directeur de la photographie Karl Freund en est le plus important, mais le rapport à la performance diffère grandement. C’est pourtant vers cette dimension que s’est malencontreusement jeté le réalisateur, oubliant que la parole était absente chez Murnau. Un rendez-vous raté supplémentaire, alors même que le chef opérateur Jarin Blaschke offre une magnifique plasticité aux prises de vue, leur conférant une texture et une lumière comme il manque aujourd’hui dans beaucoup de films se réclamant de l’horreur ou du moins du fantastique.
Fantasmagorique à souhait, The Lighthouse est un brillant château de cartes qui s’écroule au milieu de sa construction. Poussif et trop long, sans que sa durée n’ait un quelconque impact sur l’atmosphère pesante, le film se réclame trop de ses maîtres pour exister par lui-même, n’affrontant jamais ses propres intentions et inspirations. Superficiel sur le fond, le long-métrage se détourne de ce qui faisait la force et la puissance des horreurs qui l’habitent pour se concentrer sur une forme qui en devient alors bien trop académique mais aussi forcée. Chaque motif est accentué, par peur que le public y soit insensible. De fait, c’est une impression de lourdeur qui domine, et ce à mon grand désarroi. Tout n’est cependant pas à balayer et Eggers peut compter sur son duo impeccable d’acteurs et surtout sur son directeur de la photographie dont les images sont autant le reflet de la beauté de cette œuvre que du gâchis qu’elle incarne.
Créée
le 27 mai 2019
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