(ultra) Light my fire
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le 18 déc. 2019
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Pendant que Robert Eggers cherchait à réunir les fonds nécessaires pour son premier long-métrage : The Witch : A New-England Folktale, il collaborait déjà avec son frère Max Eggers sur un autre projet de scénario. Ce duo créatif a commencé à développer une histoire inspirée des récits maritimes. Leur travail commun pendant cette période reflète l’approche méticuleuse de Robert, centrée sur la reconstitution historique et l’atmosphère immersive, et l’apport littéraire de Max, enrichissant ainsi leur univers cinématographique naissant.
L’écriture du scénario trouve sa source dans des événements aussi réels que glaçants. Robert et Max Eggers, comme des marins traquant une épave chargée de mystères, se sont inspirés de la tragédie du phare de Smalls en 1801, une histoire où le vent hurlant et l’isolement ont poussé des hommes au bord du gouffre. L’épisode de Thomas Howell et Thomas Griffith, entre querelles, mort accidentelle et folie, résonne comme un prélude sombre au film. Robert capture cette essence tragique et la magnifie, transformant un simple fait divers maritime en une œuvre cinématographique dense. Le thème de l’isolement, accentué par le fracas des vagues et la menace constante de l’élément marin, devient le fil conducteur d’un scénario où chaque détail historique (y compris le basculement vers des équipes de trois hommes dans les phares britanniques) ancre le récit dans une réalité tangible tout en ouvrant les portes de l’imaginaire.
En 2019, The Lighthouse sort dans nos salles obscures et confirme et approfondit la signature cinématographique unique de Robert Eggers.
Chaque décor du film évoque l’héritage maritime avec une précision qui force l’admiration. Sous la houlette du chef décorateur Craig Lathrop, l’équipe a bâti un phare grandeur nature à Cap Fourchu, en Nouvelle-Écosse. Le site, battu par les vents glacés de l’hiver, devient un personnage à part entière, aussi imposant qu’hostile. Ce phare n’est pas qu’un simple élément de décor : il incarne le poids écrasant de l’isolement et le rêve (ou cauchemar) de l’homme face à la mer.
Le tournage, étalé entre les intérieurs reconstruits dans des entrepôts d’Halifax et les extérieurs réels, montre l’obsession de Robert Eggers pour l’authenticité. La reconstitution méticuleuse des phares du XIXe siècle, avec leurs structures robustes, presque archaïques, enracine le film dans une esthétique brute et évocatrice. Les décors, combinés au climat impitoyable de la Nouvelle-Écosse, transforment chaque scène en une lutte acharnée entre l’homme et la nature.
Pour capturer cette atmosphère étouffante, Robert Eggers s’entoure une nouvelle fois de Jarin Blaschke, un directeur de la photographie dont la maîtrise technique transcende l’image. Le choix du format 1.19:1, rappelant les premiers films parlants, et de la pellicule en noir et blanc n’est pas qu’un hommage au passé. Ce cadre presque carré confine les personnages comme dans une cabine exiguë, donnant au spectateur la sensation d’être pris au piège avec eux.
La lumière, créée par des projecteurs d’une puissance presque brutale, sculpte chaque ride, chaque regard. Les ombres, longues, mouvantes, semblent danser au rythme des flots, reflétant l’état mental des protagonistes. Cet usage expressionniste rappelle Fritz Lang ou Murnau, où la lumière est un personnage à part entière. Ici, elle devient un écho du phare lui-même, une entité obsédante qui éclaire autant qu’elle aveugle.
Mark Korven, le compositeur déjà réputé pour son travail sur The Witch : A New-England Folktale, livre une partition magistrale où chaque note semble émerger des abysses. La bande-son ne se contente pas d’accompagner l’action : elle est l’âme sonore du film. Le cor de brume, omniprésent, devient un leitmotiv terrifiant, une plainte qui semble venir du cœur de la mer. Les instruments évoquent à la fois le chaos de la tempête et le silence assourdissant de l’isolement. Korven s’imprègne des éléments naturels, faisant de la musique une force primordiale, aussi implacable que l’océan. Cette puissance sonore sublime les scènes-clés, ajoutant une dimension quasi mythologique au récit.
Willem Dafoe et Robert Pattinson délivrent des performances qui restent gravées comme des écussons sur la coque d’un navire. Dafoe, avec sa diction empruntée à l’ancien dialecte des marins, incarne Thomas Wake, un gardien de phare aussi mystique que tyrannique. Son jeu est un mélange de folklore et de réalisme : il est à la fois un vieux loup de mer et une figure mythologique, une sorte de Neptune déchu.
Pattinson, quant à lui, surprend par sa capacité à exprimer la désintégration mentale d’Ephraim Winslow. Son évolution, de jeune homme torturé à âme brisée par la culpabilité et la folie, est fascinante. Leur duo est un véritable combat, une tempête émotionnelle où les regards et les mots sont aussi tranchants que les lames des vents marins.
Robert Eggers et son frère signent un scénario qui se déploie comme une carte maritime, avec plusieurs niveaux de lecture. Au premier abord, le film raconte une histoire de solitude et d’alcoolisme. L’alcool, omniprésent, devient un refuge destructeur, un moyen pour les protagonistes de fuir une réalité trop dure à affronter. Mais en grattant la surface, des thèmes plus énigmatiques émergent.
Les figures mythologiques (sirènes, tentacules et Neptune lui-même) peuplent cet univers. La sirène représente à la fois le désir et la mort, une allégorie des illusions que la mer fait miroiter. Les tentacules, quant à eux, rappellent les légendes lovecraftiennes, des entités immenses et incompréhensibles, symboles des peurs inconscientes.
Le phare, enfin, devient une obsession, un éden interdit évoquant le mythe de Prométhée : la lumière, promesse de savoir ou de rédemption, finit par dévorer celui qui s’en approche trop.
The Lighthouse est une plongée abyssale dans les tréfonds de l’âme humaine. Robert Eggers orchestre chaque aspect du film, de l’écriture à la mise en scène, avec une précision de marin traçant sa route dans une tempête. Ce n’est pas seulement un film, mais une expérience sensorielle, une immersion totale dans un univers où la réalité et le mythe se confondent. Comme un phare solitaire au milieu d’une mer furieuse, cette œuvre brille d’une intensité rare, hypnotisant son spectateur avant de le laisser naufragé, émerveillé et terrifié. Robert Eggers confirme qu’il est l’un des grands capitaines du cinéma contemporain, un conteur capable de sonder les mystères les plus profonds tout en restant fidèle à son cap artistique.
Créée
le 14 déc. 2024
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