Avec ce film, on se mange une superbe critique contemporaine des relations amoureuses qui délivrent toutes leur vacuité, leur hypocrisie, leur obligation sociale et leur capacité de destruction de l’autonomie.
Aih aih aih j’adore le message de ce film et la manière dont il le délivre.
On ne sait pas trop où nous mène le film lors des premières scènes avant de comprendre le génie de celui-ci. Et le génie vient de la transposition dans l’absurde du couple moderne tout en gardant malgré tout, ses codes grossiers qui le régissent. Quelle plus belle manière pour montrer le ridicule des relations amoureuses ? Un absurde qui fait à la fois rire et réfléchir.
Le film nous rappelle que la société nous considère comme un raté si nous ne sommes pas en couple (ne valent pas mieux que des animaux). Cette construction sociale fait que la réussite de sa vie passe forcément par la réussite d’une vie de couple. L’individu ressent donc l’obligation, la nécessité d’être en duo. Et c’est ce qu’explique le film en automatisant ce processus, en le rendant obligatoire de manière ridicule. C’est aussi un savoureux sarcasme envers ceux qui revendiquent l’amour fou et inconditionnel. Pourquoi ? Car sous cet amour irraisonné se cache une grinçante hypocrisie, un aveuglement qu’on s’applique sans l’aide de personne. A l’image de l’homme qui donne 14/15 sur l’échelle de la passion envers sa femme et qui est prêt à la tuer sans sourciller la seconde d’après. Scène géniale qui montre la fragilité voire l’inexistence du lien amoureux, qui ne révèle qu’un mensonge. Une attitude de façade, une sorte de consentement des deux partis « Ok on forme un couple car la société le veut ». Et c’est ce que j’adore dans ce film, l’absurde sert totalement le propos en mettant en évidence cette réalité qu’on retrouve souvent. On saisit aussi dans le film cette sorte d’extra-extériorisation de l’amour pour que l’autre nous croit, pour justifier ce couple vis-à-vis de soi et de l’autre. Tenter de lui donner un sens au travers des faux-semblants. Se persuader mutuellement d’être des âmes-sœurs.
Du coup, dans le film les couples se légitiment en se trouvant des points communs burlesques (les deux partenaires sont myopes ou saignent régulièrement du nez) mais qui résonnent si bien avec nos propres expériences. Le réalisateur se moque avec ironie de nos relations amoureuses en pointant tout leur ridicule. Elles sont des reproductions sociales par mimétisme de ce schéma qu’est le couple. Notre personnage perd ce point commun à un moment donné et tente d’en retrouver un autre pour continuer à justifier leur relation. Comme si l’individu tentait au mieux de perdre son individualité pour ne plus former qu’un couple où l’on ne distinguerait plus les deux parties. De l’autre côté, les défenseurs de l’autonomie complète, avec Léa Seydoux, interdisent cette perte d’individualité : La dépendance à un autre être humain est une perte de son identité et donc de son essence, ce qui mérite littéralement la mort dans le film. Léa Seydoux en viendra donc à crever les yeux de celle avec qui notre personnage (Colin Farrel) se lie pour éviter que la myopie ne les rapproche et les mène finalement à l’amour (donc à la mort). Colin Farrel va aller jusqu’à proposer de se crever les yeux pour qu’à nouveau ils se ressemblent, se rassemblent.
La scène de fin est pleine d’interprétations et j’adore ça j’avoue. On ne sait pas si Colin Farel se crève les yeux et donc accepte de rentrer dans le mensonge de la relation amoureuse ou s’il conserve ses yeux et donc garde cette différence qui les sépare et met en péril le lien ténu de leur amour. Devenir aveugle dans l’amour ou garder les yeux ouverts et accepter la fragilité ainsi que la perpétuelle actualisation, remise en question de la relation amoureuse et de sa légitimité en tant que telle.
Je propose une interprétation dont je suis moins sûr cette fois à propos de cette scène finale : l’animal en quoi Colin Farrel aurait dû se transformer s’il n’avait pas été en couple aurait été un homard. Or, le homard est, il me semble, connu pour rester toute la vie avec sa/son partenaire. Donc, quel que soit le choix de Colin Farrel avec ce couteau pointé devant les yeux, je suppose qu’il restera avec sa compagne par la suite. La seule interrogation restante (dépendant de ce choix) serait : Cette relation sera-t-elle d’un amour aveugle, décérébré, non-rationalisé ou d’un amour conscient, lucide, fragile, avec deux parties restant indépendantes l’une de l’autre ?
Pour finir, on peut voir des plans vraiment originaux (le travelling de la piscine par exemple) avec une esthétique soignée et épurée, ainsi qu’une mise en scène très froide et sans filtre des acteurs. Tout cela permettant de ne rendre que mieux cette indifférence généralisée, cette quasi-absence d’émotions. A noter, la musique qui participe parfaitement au côté complètement loufoque du film.
Le film finalement ne répond pas à ce questionnement et c’est à nous d’y répondre : L’amour existe-t-il ? Ou le couple ne serait-il qu’une marque de notre hétéronomie, de notre dépendance à l’autre ? Ou bien une imitation anthropologique ?