Revoilà Yorgos Lanthimos et ses univers sans queues ni têtes qui retombent toujours miraculeusement sur leurs pattes pour donner un gros coup de griffes à nos merveilleuses sociétés capitalistes occidentales, saupoudrés d'un humour pince-sans-rire. Homard oblige.
Après s'être attaqué à l'éducation et au carcan familial dans Canine, il étend ici son univers aux relations amoureuses et à l'ensemble d'une société. Une société démentiellement démentiel, dinguement dingo, où toutes les normes semblent avoir étaient décidées lors d'un immense tirage au sort au cours duquel quelques esprits génialement tordus auraient écrits sur de petites cartes des phrases absurdes avant de les répartir dans deux immenses urnes. D'un côté celle des causes, de l'autre celle des conséquences.
On se retrouve donc avec une société, dictature du couple, où le célibat est interdit, et où tous les nouveaux célibataires sont envoyés dans un hôtel étrange où ils ont 45 jours pour se caser. Et si au bout de ces 45 jours ils sont toujours seuls, ils sont métamorphosés en l'animal de leur choix. Simple. Un hôtel où ils vont chaque jour à la chasse aux Solitaires, fuyards qui vivent dans la clandestinité, retranchés dans les bois alentours, emmitouflés dans leurs parkas, et où pour chaque solitaire capturé, ils gagnent une journée. Un hôtel où une jeune femme passe dans leur chambre se frotter contre leur entrejambe jusqu'à ce qu'érection s'en suive, mais où il est strictement interdit de se masturber et où quiconque est prit la main dans le sac, ou plutôt dans le caleçon, termine les mains dans un grille pain. Un hôtel où les nouveaux couples se forment selon le célèbre dictons "qui se ressemble s'assemble" et où celui qui ment sur ce facteur rapprocheur déclencheur finit en l'animal que personne ne veut devenir.
Un hôtel où se retrouve suite à son divorce notre héro, drôle d'animal moustachu qui souhaite être réincarner en homard parce qu'il veut vire 100 ans tout en étant sexuellement actif. Et parce qu’en plus, il aime ça, la mer. Il découvre jour après jour, à mesure que les cartes absurdes s'abattent les unes après les autres, et pour notre plus grand plaisir, toute ces règles loufoques, toujours surprenantes, parfois hilarantes, dans cette univers terne, sorte d'automne permanent au ciel gris comme le bitume et à la végétation verdâtre-orangé-marronnasse comme une vielle moquette délavée. Sorte de prolongement visuel taciturne de notre ventripotent héro.
Jusqu'au jour où il s'échappe, s'enfuit dans la forêt où passe à l'occasion un flamant rose ou un chameau, humain réincarnée égaré, et se retrouve dans cette société parallèle, dictature du célibat, pareillement extrême en faisant exactement tout le contraire. Les Solitaires, donc. Une société où il est possible de se palucher à longueur de journée ou de parler à qui l'ont veut mais où il est interdit de flirter ou de s'embrasser. C'est dans ce régime totalitaire du célibat qu'il va la découvrir. La bonne. L'âme sœur. Myope, comme lui. L'humour laisse alors place à une certaine mélancolie qui va doucement plonger la seconde moitié du film dans ses épaisses volutes voluptueuses avant de virer brusquement vers la dépression chronique et brutale.
Moment choisit par le réalisateur grecque pour faire sa petite cabriole, retomber doucement sur ses pattes, sortir tranquillement de la dimension absurde pour y intégrer un semblant de logique, y faire émerger quelques pistes de réflexions, y tisser un lien étroit avec notre société tout en prenant le temps d'assassiner symboliquement le mythe du couple d'une balle à bout portant, qui n'a jamais été chargée.
Une société plus si différente de la notre, réglée par des normes qui s'imposent à chacun, gouvernée par la dictature du couple dans sa maison avec grande cuisine et ses vacances sur les côtes grecques, avec ses classifications rigides, ses nouvelles techniques de séduction impersonnelles au possible, sa robotisation des rapport sociaux et sa banalisation du sexe, devenu un échange comme un autre.
Une société où l'on fait semblant, quand on rend visite à ses parents, en leur racontant à quel point l'on est épanouis dans sa parfaite entreprise et heureux dans son jolie petit couple pendant qu'on les écoute faire la même chose, un faux sourire sur le coin des lèvres.