En 1993, la mode du néo Wu Xia Pian initiée par Swordsman et consorts commence à montrer des signes d'essoufflement dans le cœur du public. Comme inconscient de la fatigue d'une tendance commencée il y a déjà 3 ans, les grands écrans de la colonie se voient toujours régulièrement pris d'assaut par des films du genre. D'ailleurs, bien qu'il s'en défende, Tsui Hark ne délaisse pas la vague qu'il a initié et continue lui aussi à exploiter le courant autant que faire se peut. A son crédit, il faut avouer qu'il le fait avec une authentique volonté d'offrir un spectacle de qualité.
Conforme à ses habitudes, Tsui pioche dans l'age d'or du cinéma Chinois pour trouver son inspiration. Ici, c'est probablement New Tale of the Flying Crane ou un de ses avatars postérieur qui sert de référence. Référence uniquement car c'est un tout nouveau spectacle qui est ici proposé, prenant en compte l'évolution du genre en cette année 1993. Ce n'est pas Tsui qui prend la caméra de la mise en scène, préférant laisser la place à un petit nouveau qui monte, Benny Chan.
Qui dit production Film Workshop, dit un certain standing technique. The Magic Crane ne fait pas exception à la règle et affiche une esthétique fort séduisante. Les costumes sont soignés, dans le style un poussiéreux, réaliste, qu'affectionne Tsui Hark quand il se frotte au genre. Les décors, extérieurs comme intérieurs, vont de l'original (le bateau, le territoire de la tortue de feu) au très classique (l'incontournable auberge) mais s'avèrent toujours bien exploités. Cette qualité se retrouve également dans les chorégraphies de Lau Chi Ho et sa bande. Conformes au style du néo Wu Xia imposé par Ching Siu Tung, les affrontements privilégient l'esthétique et le spectaculaire (usage abondant de câbles) à la technique et au réalisme. Rien d'innovant dans tout cela donc mais un savoir faire qui fait honneur au genre.
Magic Crane se distingue davantage sur le nombre d'idées barrées qui constelle son scénario. On sent bien ici le fruit d'une exploitation forcenée du genre. Après 3 ans de Wu Xia Pian enchainées à vitesse grand V, la recherche d'originalité poussait les scénaristes dans leurs derniers retranchements. Ce qui nous valut du coté de la Film Workshop un The East is Red bien allumé et cette étonnante Magic Crane. Tsui Hark, Benny Chan ont donc décidé de mettre en avant une authentique ménagerie fantastique. La grue du titre bien sur mais on a également droit à la tortue de feu et aux chauves souris empoisonnées. Un bestiaire sympathique mais, logiquement, mis à mal par une technique approximative (les chauves souris sont à peine digne d'un épisode de San Ku Kai). Plus gênant que les manques en matière d'effets spéciaux, qui après tout font partie des charmes de ce cinéma, est l'absence de justification et d'enjeux scénaristique liés à la bête principale, alias la Grue magique. Ce brave animal, très présent dans tout le métrage, n'est à aucun moment développé. L'idée la plus originale du film ne sert donc qu'à décorer le film. Une sorte de figurant/second rôle de luxe en somme. A la place, les scénaristes choisissent de faire évoluer leur histoire à coups de petites sous intrigues pas forcément intéressantes. Autant on peut s'intéresser au segment consacré à Anita Mui et Rosamund Kwan, autant les développements autour de Jay Lau (sortie toute droit de Basic Instinct) ou de Kelvin Wong ne mènent à rien du tout. Quand à l'intrigue principale autour des luttes d'école martiales pour la domination du Jiang Hu, elle ne sert que de détonateur au métrage. Dommage étant donnée qu'elle était prometteuse. Il a probablement été jugé que ce type de thème avait déjà été trop fréquemment utilisé pour mériter un nouveau long métrage.
Peut être conscient que le public risquerait de ne pas se laisser entraîner dans ces aventures héroïques de vengeances et de lutte pour le pouvoir, Benny Chan injecte à son film une dose non négligeable d'humour. Il ne s'agit pas de comédie à la Wong Jing qui n'utilise l'univers du genre comme simple changement esthétique pour une transposition quasi à l'identique de ces films contemporains mais le recours à de petites touches ironiques, de courte réplique qui font mouche dans l'univers Ô combien codifié du Wu Xia Pian. C'est essentiellement Tony Leung Chiu Wai, très à l'aise dans son rôle de disciple nonchalant et désabusé, qui se charge de délivrer ces traits d'humour fort agréable. La présence de Damian Lau, à la fois pilier du genre mais également acteur professionnel capable de donner la réplique, est également un plus dans ce registre, faisant un excellent contrepoint aux attitudes critiques de son élève. Ces petites touches comiques ont le bon goût de ne pas tomber dans la parodie et apportent un petit plus agréable au film dans son ensemble.
Spectacle sympathique portant le sceau de qualité Film Workshop, Magic Crane n'est cependant pas un Wu Xia Pian incontournable faute à sa légèreté scénaristique. Les amateurs devraient tout de même pouvoir y trouver satisfaction !