The Master est un peu le versant cérébral de l’épidermique Martha Marcy May Marlene. Deux approches complémentaires du mécanisme d’endoctrinement. Si le film de Sean Durkin évoquait surtout les conséquences, celui de Paul Thomas Anderson s’interroge sur les commencements. Création d’un mouvement sectaire (ici la Scientologie, jamais nommée mais souvent évoquée de manière détournée) et recrutement d’un sujet alpha. Sur le terrain de la plus grande détresse psychologique, la manipulation fait son nid. Les méthodes pseudo psychanalytiques de Ron Hubbard sont dépeintes lors d’intenses scènes promptes à secouer le spectateur.
Mais le réalisateur, adepte des chemins de traverse, refuse le didactisme et la démonstration bête et méchante. Il préfère la complexité psychologique et la réflexion. Le manichéisme ne pointe que rarement le bout de son nez et si les caractères sont « bigger than life », ils se veulent avant tout humains. D’où l’insistance sur les détails, les petits vices, les grandes faiblesses, les éclats et les murmures. On retrouve ici le même sens du rythme, le même tangage entre retenu et explosion qui faisait la force de There Will Be Blood. Moins emphatique, moins puissant que cette œuvre qui reste le sommet de son auteur, The Master n’en demeure pas moins un achèvement remarquable.
La complexité des thèmes abordés, la richesse psychologique des protagonistes, les nuances innombrables donnent à ce film austère des atours irrésistibles. On y vient d’abord pour la mise en scène toujours aussi magnifique et pour les hallucinantes performances des comédiens, mais on y revient pour les dialogues et les ellipses, pour les duels et les monologues, pour les non-dits. Ce cinéma, qui fit notamment les beaux jours du Nouvel Hollywood dans les années 1970, est aujourd’hui qualifié d’exigeant. Non. Ou plutôt oui, contrairement aux blockbusters pour adolescents et aux interminables explications façon Nolan, The Master ne se donne pas avec évidence. Comme Cosmopolis l’année dernière, ce n’est pas un divertissement devant lequel on pose son cerveau sur le siège d’à côté. C’est du vrai, du très grand cinéma intelligent et admirable.
Aussi retords que généreux, le film ne cesse de défricher des pistes, de semer des symboles, d’offrir des interprétations possibles. Car l’âme n’est pas la fille d’une seule cause, personne ici ne pourra désigner un unique coupable. La faute à qui ? A quoi ? Au sexe ? A la mère ? Au père ? A l’alcool ? A la guerre ? A l’amitié ? A l’amour ? A la femme ? A l’homme ? Mais à tout cela en même temps, bien sûr ! Chaque pièce du puzzle vient garnir la fresque introspective. La fin ne répondra certainement pas aux questions ; elle en pose, au contraire, bien davantage. On reviendra vers The Master, nouvelle apogée peu aimable, et pourtant incontournable, de la carrière de Paul Thomas Anderson. Le réalisateur ne cesse d’affiner et d’affirmer son cinéma, repoussant à chaque nouvel opus ses propres limites et celles de ses spectateurs. Oui, The Master est moins facile à adorer que There Will Be Blood, mais il en tutoie l’immensité.