Récemment, j’ai fait quelque chose que je m’étais interdit de faire : j’ai emmené ma fille voir The Rocky Horror Picture Show. RHPS, ce n’est pas un film. Le RHPS, ce n’est pas quelque chose qu’on peut posséder, et a fortiori, donner. Aucune VHS, aucun DVD, aucun Blu-ray ne peut donner une idée juste du Rocky, car c’est un rite initiatique. Une franc-maçonnerie. « On en est », ou « on n’en n’est pas » !


Quand on entre dans LA salle (eh oui, le film ne passe que dans une salle en France depuis 30 ans), l’impétrant doit d’ailleurs répondre à la question rituelle : « Y’a-t-il des vierges dans la salle ? » En clair, des gens (les pauvres !) qui viennent au Rocky pour la première fois. Et le choc peut être rude. Il faut être prêt à entendre (authentique) des gens hurler pendant le film, chanter, danser sur la scène (sic), jeter du riz (véridique) ou de l’eau, et plus souvent qu’à son tour… bref, c’est une performance.


De quoi parle le Rocky ? Au fond, cela a peu d’importance, c’est le destin même du film qui est passionnant. Mais pitchons quand même ! Un couple d’étudiants coincés (Brad et Janet), décident, au mariage de leurs amis, de se fiancer, car Janet a attrapé le bouquet de la mariée. Puis ils rendent visite à leur Professeur et ami le Dr Scott, mais sur la route, crèvent un pneu. Sous une pluie battante, les voilà contraints à trouver un endroit pour téléphoner (nous sommes en 1973, pas de portable !) Mais qui sont ces gens dans cette étrange bâtisse, et qui semblent attendre un incroyable événement ? A l’issue d’une nuit initiatique (à tous points de vue) Brad et Janet se réveilleront le lendemain matin plus tout à fait les mêmes.


On le voit, l’histoire est plutôt abracadabrante, le film étant avant tout une parodie/hommage des films de la Hammer (Frankestein, Dracula…), aux serials des années trente (King Kong, Flash Gordon), aux films de SF des fifties (Tarantula, Le Jour où la Terre s’Arrêta, etc.)


C’est aussi le prétexte à chansons et danses, car le Rocky est d’abord une comédie musicale, créée en 1973. L’œuvre de Richard O’Brien parodiait ces films cultes en rajoutant transsexuels, drogue, et Rock’ n’ Roll. Comédie musicale à succès, à Londres, puis à New York : Hollywood s’empare immédiatement du sujet et monte un film avec une partie du cast. On y ajoute une jeune star montante (Susan Sarandon), mais le tournage en Grande Bretagne est épouvantable, les acteurs frôlant la pneumonie dans le château glacial qui sert de lieu de tournage.


Le film sort néanmoins en 1975, et, à la surprise générale, est un bide intégral. Il va quitter le réseau des salles quand un petit malin du marketing de la 20th Century Fox a le réflexe d’étudier attentivement les chiffres. Certes, le film ne marche pas, mais certaines salles ont un taux de remplissage maximum. Pourquoi ? Creusant les maigres données en sa possession, la Fox découvre que le film marche très fort en double feature, les projections façon « Dernière Séance » où l’on peut voir deux films pour le prix d’un. Et plus particulièrement dans les salles des grandes villes (NY, LA, Chicago…) proches des campus.


En assistant à une séance, il découvre l’embryon de ce que va devenir le RHPS : certains spectateurs se sont passionnés, au premier ou au second degré, pour le film, ont appris les chansons et les répliques par cœur, en ont inventé de nouvelles, souvent salaces et parodiques ; certains viennent même déguisés comme les personnages ! Le film est devenu un barnum interactif qui attire chaque jour plus de monde…


La Fox revoit alors sa distribution : une salle par grande ville, une seule séance le samedi soir, et une exclusivité 50km autour. Le phénomène s’amplifie, débarque en Europe et s’installe de la même manière : ainsi, le Studio Galande a l’exclusivité du Rocky pour Paris et sa Banlieue. S’il est projeté dans cette zone, c’est ce cinéma qui s’en occupe et récupère les sous. Et ce sont ces deux seules séances hebdomadaires du RHPS qui font vivre, au milieu d’une quinzaine d’autres films, ce cinéma Art et Essai depuis 30 ans.


Pour sa part, le Professore a découvert le Rocky dans une convention de SF à Rambouillet, précédé d’un étrange avertissement : « merci de ne jeter ni riz, ni farine, ni eau pendant la projection ». Évidemment, sa seule envie fut d’en savoir immédiatement plus. Un coup d’œil sur L’Officiel des Spectacles (l’Internet des années 80) permit d’identifier l’unique salle qui diffusait le Rocky : le fameux Studio Galande. Dans son écrin du Quartier Latin, nous fîmes – avec le camarade AG Beresford – la découverte de Frank, étudiant gay irlandais qui nous initia… aux subtilités du Rocky.


Car le film est vivant et repose entièrement sur la tradition orale transmise par le « Cast », la troupe d’amateur qui l’anime pendant deux ou trois ans avant de partir ailleurs, c’est à dire fonder une entreprise de semi-conducteurs ou une famille en Ardèche. Les blagues sont donc ultra-générationnelles : le discours de Nixon dans la voiture situe l’action en 1973, mais nos blagues, en 1986, tournaient autour du slogan du PS « Au secours, la Droite revient ! », hurlé en chœur quand la Créature est poursuivie par une meute de chiens… Aujourd’hui, les blagues tournent autour de Ségolène Royal (la salle vide du discours final de Frank’n’Furter)… c’est la permanence du Rocky, c’est sa force, au-delà des blagues de cul potaches…


Mais assister au Rocky, c’est avant tout un Rite Initiatique, il y a un avant et un après Rocky. Une sorte de service militaire cinéphilique…


Le Rocky, c’est une phase de la vie, entre l’adolescence et la vie de couple, à l’image des héros du film, déniaisés par des adultes (certes un peu au-delà de la moyenne). D’un côté le narrateur, vieux casse-burnes tradi, de l’autres une bande de transsexuels de la planète Transsexual, Transylvania : choisis ton camp, camarade ! Mais c’est surtout pour le spectateur, le vrai, pas celui qui vient une fois au Rocky pour voir, mais bien celui QUI Y RETOURNE… une fois que l’on fait partie du truc, c’est une famille, une bande… L’idée de participer à quelque chose d’excitant et de transgressif, et de partager ça… Mais aussi, une sorte d’arbre généalogique de la cinéphilie : Sarandon, elle a fait quoi après ? Ah bon, Barry Bostwick, c’est le maire de NY dans Spin City ? Et Tim Curry, l’officier russe dans Octobre Rouge ?? Et c’est quoi cette histoire d’empeachment de Nixon… ???


Au Rocky, on rencontre toujours des gens cultivés et cinéphiles… Avouez qu’il y a pire voisinage…


cinefast

ludovico
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le 22 août 2012

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