J’ai longtemps pensé qu’une œuvre de found footage ne pouvait être bonne que dans la mesure où elle respectait scrupuleusement les règles du genre, de façon à renforcer tant que possible l’effet d’immersion voulu par cette forme d’ « amateurisme simulé ». Mais à mesure que le genre tend à s’épuiser (notamment dans le domaine des films d’épouvante), certains réalisateurs tentent de s’extraire d’une application trop rigide des codes, de tenter des métissages entre plusieurs traitements assez proches (le found footage et le mockumentary par exemple) et le résultat est parfois réjouissant. C’est le cas de "The Sacrament", qui prend certaines libertés que ses prédécesseurs évitaient – transitions entre deux caméras, ajout d’une trame musicale, rushs légèrement dégrossis par un montage basique, stade médian entre le reportage et le brouillon – et le réalisme n’y perd rien, bien au contraire, et on se laisse gagner par une angoisse qui devient vite irrésistible.
Le récit est inspiré du drame de Jonestown, en Guyane, lorsqu’en 1978, la secte du Temple du Peuple, dirigée par le gourou Jim Jones, s’était adonnée à un suicide collectif au cyanure (plus de 900 victimes) suite à la visite de journalistes et au désir exprimé par certains habitants de quitter le camp. Le film conserve les éléments principaux de cet événement tragique : l’intrusion de journalistes dans la communauté, le caractère isolé du camp (en plein milieu de la forêt), l’idéologie anti-raciste, écologiste et socialisante du gourou (Jim Jones, sympathisant maoïste et ex-membre des communistes américains, se réclamait d’un « socialisme apostolique »), la tentative d’empêcher le départ des journalistes, le suicide de masse par ingestion de poison et le massacre par balles des plus réticents. Si je me permets de déflorer ainsi le récit, c’est que l’intérêt du film ne réside pas dans un quelconque effet de surprise, on voit venir les choses de loin et la référence au faits divers évoqué ci-dessus (et présent dans la mémoire de l’opinion) est complètement assumée. La fiction modifie juste un peu le contexte. Ici, nous avons à faire à une équipe de trois journalistes de l’émission VICE, spécialisée dans les reportages choc, qui se rend dans la communauté d’Eden Parish (située auparavant dans le Mississipi mais qui s’est établie depuis peu à l’extérieur des Etats-Unis) car Caroline, la sœur de Patrick, le caméraman, y a trouvé refuge et officie désormais auprès de Charles Reed, le gourou, que les disciples appellent simplement Father. La jeune femme, qui a rompu avec sa famille et connu un itinéraire assez mouvementé (c’est une ancienne toxicomane) ne cherche à se réconcilier avec son frère que dans le but de le faire adhérer à la communauté et de lui soutirer de l’argent. Elle tente à tous moments d’apaiser les soupçons des journalistes, comme lorsqu’elle leur dit : « Relax. Vous êtes au Paradis, agissez en conséquence. »
La scène dans laquelle Sam Turner, un des journalistes, interviewe le gourou est une des plus réussies sur le plan du jeu d’acteurs. Le Père fait preuve d’une maîtrise parfaite de la démagogie et des artifices rhétoriques, il réclame que l’entretien ait lieu en public, devant les fidèles, et parvient à mettre les rieurs de son côté et à détourner à son avantage les questions les plus gênantes. Les quelques secondes où, se tournant légèrement de profil (alors qu’il regardait jusqu’alors son interlocuteur), il menace Sam à mots voilés tout en faisant mine de répondre à une question et sans qu’aucun autre ne saisisse l’allusion, sont glaçantes. Tout à la fois orateur avisé maîtrisant toutes les ficelles de la communication politique, homme d’affaires circonspect et fanatique convaincu (l’argent se semble pas sa motivation première puisqu’il se suicidera lui-même à l’issue du massacre), le Père constitue un personnage particulièrement angoissant.
Produit par Eli Roth (que je n’ai jamais apprécié comme réalisateur mais qui m’a souvent étonné par la qualité de ses références et goûts cinématographiques – c’est ainsi lui qui m’a fait découvrir "The Wicker Man" pour ne citer qu’une exemple), le film de Ti West a été bien inspiré en choisissant un sujet qui s’accorde parfaitement avec la forme du “semi-found footage”. L’arrivée au camp, l’installation dans un dortoir et la déambulation de Sam partant à la recherche de membres de la paroisse à interviewer donne à "The Sacrament" ce goût de reportage, de vraisemblance, qui permet au spectateur de ressentir plus intensément les sentiments de malaise et de panique qui s’imposeront ensuite. Le réalisateur se permet toutefois quelques clins d’œil au cinéma d’horreur classique en recourant au personnage d’une petite fille muette envoyée par sa mère chercher de l’aide auprès des journalistes et qui apparaît toujours par surprise dans le cadre, la tête baissée et les cheveux tombant sur le visage. L’ensemble, malgré son caractère un peu intermédiaire sur le plan formel (ou peut-être grâce à cela), est aussi convaincant qu’il peut l’être et particulièrement anxiogène.