Le covid est déjà un lointain passé, la psychose des débuts ayant laissé la place à une banale lassitude envers ses symptômes souvent bénins sur les jeunes actifs qui se sentent plus impliqués à remplir leur stock de pâtes et de papier toilette qu’à lutter contre la propagation du virus. The Sadness est là pour nous le rappeler avec la mutation de son mystérieux virus poussant la population à toutes les formes de dépravation dans les rues dans la joie et l’allégresse et surtout sans retenue. Passé de mode depuis plusieurs années, le zombie a trouvé dans cette crise le terreau idéal pour renaître une fois encore, et cela fait du bien de le voir aussi en forme après avoir dût en supporter la dégénérescence suite à la prolifération épidémique de ces comédies potache ayant suivi le succès de Shaun of the Dead, si bien qu’à force de le tourner en dérision, le mort-vivant ne faisait plus peur à personne et les survivalistes en herbe venaient même à en souhaiter l’apocalypse afin de pouvoir en dessouder des centaines à la chaîne. Rob Jabbaz s’en réapproprie la figure trépané pour la revitaliser en désinhibant son système limbique là où Georges Romero en faisait des esclaves abrutis par le consumérisme.
Loin de l’apathie des marcheurs ambulant qui se délectent de la chair humaine, les infectés de The Sadness en ont moins pour les cerveaux que pour les orbites qui leur servent occasionnellement à se soulager d’une bien autre manière. Le seul point commun avec le zombie romérien, c’est bien celui d’être guidé par leurs plus bas instincts, au point d’en avoir perdu toute notion de mal et de bien, puisqu’ils ne sont plus animés que par leurs pulsions et déviances habituellement refoulés dans un coin sombre de leur conscience. A cela s’ajoute leur agressivité et des capacités physiques décuplées, si bien qu’ils doivent autant aux sprinteurs de l’Armée des morts de Snyder, qu’à ceux du Retour des Morts Vivants de Dan O’Bannon pour leur sens de la rhétorique aiguisé. Cette transformation physique se traduit à l’écran par des sourires carnassiers et des yeux révulsés d’un noir insondable qui reflète bien le désespoir abyssal qui contamine cette entreprise après deux ans d’interdiction et de contraintes imposé par nos gouvernements si bien que le réalisateur finit par se payer leur tête en la faisant littéralement exploser en pleine allocution télévisé. L’action se déroule à Taïwan, et l’intrigue est dépouillé jusqu’à l’os pour mieux nous faire apprécier son chaos urbain et ses atrocités. On y suit un jeune couple séparé par la force des événements qui vont tenter de se rejoindre en échappant aux hordes de tueurs lancés à leurs trousses tout en étant les témoins de cette vague de violence qui contamine tout le monde. Tandis que la rage se propage, les autorités sont dépassés et ne sont plus en mesure d’assurer l’intégrité des populations qui s’entre-déchirent dans les transports en commun et s’adonnent aux pires perversités et mutilations même si le réalisateur préférera parfois les esquiver grâce au hors-champ pour mieux se vautrer dans un humour noir assez décapant.
The Sadness n’est probablement pas le film le plus graphique que l’on est vu débouler sur nos écrans mais il est assurément l’un des plus transgressifs et nihiliste ce qui tend à l’inscrire dans la veine tradition des films d’exploitation de la Catégorie 3, et à une époque moins permissive où l’on en vient à restreindre les libertés artistiques pour imposer une moral bien-pensante, cela fait du bien de pouvoir se repaître d’un tel carnage. Evidemment ce massacre permet à Jabbaz de faire preuve d’une créativité et d’une variété dans les mises à morts et les sévices déployés (Parapluie enfoncé dans la cornée, orgie dans le sang, brûlure à l’huile de friture, élagage à la hachette) qui devraient heurter la sensibilité du public qui n’y est pas forcément préparé. Cette cruauté jubilatoire dont fait preuve le réalisateur lui permet non seulement de malmener le spectateur mais surtout de mettre en lumière l’animalité de l’homme capable de rejaillir à tout moment lorsque l’équilibre social s'avère troublé. Mais il n’en oublie pas pour autant de pointer du doigt la responsabilité des gens dans un véritable élan misanthrope comme avec ce quadragénaire qui en tentant de converser avec insistance avec une femme pour briser la monotonie déshumanisante du boulot-métro-dodo va se retrouver directement taxé d’une réputation de harceleur et finalement épouser cette condition en devenant une véritable figure du slasher, sorte de démon lubrique et déchaîné que l’on verra ponctuellement revenir à la charge. Personne ne sera donc épargné mais cette frénésie sanglante ne doit pas nous aveugler sur les limites imposés par cette mécanique de prédation plus opportuniste que véritablement politique ; le film est naît d’une commande et se sert surtout de la pandémie comme principal argument ; et qui après avoir tourné à plein régime dans sa première partie finira peu à peu par perdre en intensité et s’enfermer dans des décors plus cloisonnés et un récit de survivance balisé avec recherche de l’antidote et sauvetage héliporté à la clé. Mais on ne va pas bouder notre plaisir de (re)voir enfin un film aussi sale et méchant et gageons qu’il puisse montrer la voie à une nouvelle génération de cinéaste désireux de souiller le tréfonds de nos âmes.
Si tu es un zombie abruti par le consumérisme ou bien un crétin congénital obsédé par les réseaux sociaux… Il n’est pas trop tard pour te ramener à la vie. Rends-toi sur L’Écran Barge pour une dégustation gratuite de tripailles et de jambonneaux, du moins si tu es un cinéphile doté de bon goût et surtout d'un cerveau.