Si Tchétchénie m'était contée

En tant qu'étudiant, je me suis toujours demandé pourquoi les conflits du monde contemporains n'étaient jamais étudiés dans les écoles, outre écoles supérieures. Pour avoir une réponse, je suis allé consulté mon professeur d'histoire qui m'a simplement répondu qu'étudier des conflits comme la Première ou la Seconde Guerre de Tchétchénie pourraient faire valoir des idées, des idéologies dans les mentalités des gens n'ayant pas les moyens de prendre du recul sur un conflit qui leur est montré. Par soucis politiques, les guerres contemporaines sont donc souvent esquivées, ou survolées dans une brièveté des plus ahurissantes, sauf quand on parle d'islamisme, ou de la barbe de Ben Laden. Car oui, aujourd'hui, dans les écoles, si on nous parle de conflits politiques ou territoriales, nous pourront trouver exclusivement, allez, essentiellement, le conflit contre le terrorisme, et la guerre contre les méchants barbus.

Je suis venu à me poser cette question après la projection en Avant-première à Lille du film The Search, le 12 novembre dernier. À la fin de la projection, débat avec Michel Hazanavicius et Bérénice Béjo. Pris d'une fougue et d'un courage semblable à David contre Goliath, je pris le micro, et lui fit remarquer ma déception de ne pas aborder de pareils conflits aujourd'hui, et ma déception de se limiter aux Deux Guerres Mondiales, certes très importantes et que chacun de nous se doit de connaître, mais qui ne montre pas à la jeunesse qu'aujourd'hui que des conflits persistent sur notre bonne vieille planète bleue. Et non, je ne considère pas la mise en avant de corps mutilés et ensanglantés au journal de 20h comme un quelconque apprentissage de quoi que ce soit. Un conflit s'apprend, se creuse et ne peut pas être exclusivement résumé par deux trois images censées faire frémir l'opinion publique.
(au passage, avec le micro en main, je reparle des critiques que Mr Hazanivicius a pu recevoir à Cannes et des quelques références que j'ai pu retrouver lors de la projection du film)

Pour en revenir à The Search, le film se déroule durant la seconde guerre de Tchétchénie, s'étant déroulée de 1999 à 2000. Le film nous conte les destin de quatre personnes concernées par la même guerre, et qui vont être amenées à se rencontrer.

ATTENTION, CERTAINS ELEMENTS PEUVENT ETRE CONSIDERES COMME DES SPOILERS. (même si pas forcément essentiels)

Michel Hazanavicius introduit The Search par une image à la qualité pixellisée, comme les films de vacances de Tonton Guy lors de ses vacances au camping des Flots Bleus en 1995 avec Tatie Suzanne et le cousin Pierre.
Une voix se fait entendre. Bon occidental que je suis, impossible de reconnaître la langue. Serait-ce de l'anglais ? Certes, mon niveau n'est pas excellent, mais je reconnaîtrai certains mots. Serait-ce de l'espagnol, ma deuxième langue (scolairement parlant) ? Impossible, l'accent est en tout point à l'opposé de ce que j'ai déjà pu écouter auparavant.
L'image apparaît et le spectateur se retrouve plongé en pleine campagne tchétchène. Maisons saccagées voire carrément détruites, routes qui ne mènent nulle part, sol retourné. La voix n'est pas celle d'un tchétchène, non, il s'agit d'un soldat russe, filmant ses exploits en Tchétchénie. Une légère fierté se laisse entendre. Une sorte d'accomplissement personnel. Un sentiment de bravoure, de patriotisme.
M. Hazanavicius a du culot, car il va plus loin pour dénoncer cette cruauté de la guerre. L'image bavante envoie son effet de réalisme au spectateur, et la fin du film du soldat fait naître une rage, une indignation chez le spectateur face à une telle connerie humaine.

Le film est officiellement lancé. Abdul Khalim Mamutsiev est fantastique, hors du commun, et foutrement attachant. Qu'il est mignon ce gosse. Véritable tchétchène casté en Géorgie, Abdul est des plus incroyables, avec ce pouvoir de dégager foule de sentiments par le simple intermédiaire d'une mimique du visage, ou par un regard lancé, parfois avec amour, parfois avec tendresse, mais d'autres fois avec peur.
Hadji (personnage d'Abdul) traversera le pays et fera des rencontres, la plus notable sera celle avec Bérénice Béjo, évidemment. Mais le film ne se résume pas qu'en l'histoire d'une humanitaire qui aide un petit garçon tchétchène, non. Mais le film s'avère être plus compliqué que cela et nous laisse découvrir, parallèlement, l'embrigadement d'un jeune dans l'armée russe. Violence et atrocité dans l'entraînement au combat. Coup de poings et humiliations rythmeront sa journée, pour finalement partir chez les barbares que sont les Tchétchènes. Je retiendrai ce plan, après une attaque dans un village des tchétchène, ou ce jeune russe retrouve un ami à lui et va le rejoindre autour d'un feu de camp. Quoi de spécial dans ce plan ? L'arrière plan. Un immeuble de plusieurs étages en train de brûler, sur le point de s'effondrer, oeuvre de l'armée russe. Visuellement fort et psychologiquement poignant.
Le réalisateur arrive à nous filmer une fresque historique impressionnante et réaliste. Certains crieront au tire-larmes, d'autres feront chier (je ne citerai pas de noms, mais j'ai des idées de membres), d'autres se laisseront porter. Mais ils ne se laisseront pas porter par la violence qui peut se dégager de ce film, mais aussi par un certain message d'espoir que l'on peut en tirer.
Après, on ne peut pas nier l'exagération de certains traits de personnages, qui pourraient en devenir caricaturaux, ou encore des longueurs, lors d'un discours de Bérénice Béjo par exemple, où les nombreux plans sur l'assemblée peuvent paraître ma foi assez insistants.
Le twist final m'a laissé sur le cul. Mon amie s'y était préparé, moi, pas du tout, et je dois l'avouer, je me suis senti prendre une violente gifle. Non pas au niveau de ne m'être douté de rien, mais au niveau des personnages en eux-mêmes, et de ce qu'on peut éprouver pour eux.

Je retiendrai de cette séance un très beau message. Avant d'avoir pris le micro durant l'avant première, un jeune homme assis au milieu de la salle lève la main pour poser sa question au réalisateur. Ce ne sera pas une questionmais une remarque. Ce jeune homme était tchétchène et à simplement dit à Michel Hazanavicius "Merci d'avoir pris le temps et eu le courage de montrer ce combat en Tchétchénie au cinéma, je vous en suis reconnaissant." Que dire après ça ? Que dire lorsque quelqu'un ayant vécu la guerre à son coeur remercie un réalisateur pour les images qu'il vient de voir. Comme quoi, il est beau de voir qu'une réalité ne s'invente pas mais qu'elle se transmet.
zoooran
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le 19 nov. 2014

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zoooran

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