A Cold Rock, les enfants disparaissent un à un. Faute d'explication, une légende se fait jour : celle du Tall Man, être mystérieux qui serait responsable de ces enlèvements...
Drôle de film que The Secret. Vu une première fois, il plonge dans une semi-indifférence, la faute à une structure qui fait mentir sa belle affiche : non, il ne traite aucunement de terreurs enfantines et ne propose pas un point de vue à hauteur de gosses. Ou plutôt, il fait de ce point de vue une part infime du récit, fil rouge invisible qu'incarne à merveille la petite Jodelle Ferland, également narratrice. La peur au cinéma est strictement incompatible avec un point de vue objectif car ce dernier implique une distance, un recul empêchant toute viscéralité.
Qui s'intéresserait à Shining sans partager la perte de repères de Jack Nicholson ? Comment prendre part au trouble de Déborah Kerr dans Les Innocents si aucune de ses angoisses n'effleurait la toile ? Un J'ai rencontré le diable, qu'on l'apprécie ou non, pourrait-il durer 2h20 sans explorer jusqu'à plus soif le gouffre affectif de son héros transformé en tortionnaire ? Dans tous les cas, la subjectivité est primordiale, et les attentes légitimes du public sont souvent comblées en mettant les personnages en danger.
Bien entendu, le long-métrage mise sur la force de son mystère. Réalisateur français qui signait son premier effort anglophone, Pascal Laugier traite son sujet avec une ingéniosité rare, mettant de côté à peu près tout ce qui permettrait de rassasier son public. A chaque réponse trouvée, une nouvelle question posée. A chaque zone d'ombre éclairée, une répercussion inattendue sur des éléments que l'on croyait acquis. La démarche serait frustrante si The Secret n'allait pas au bout mais fort heureusement, sa thématique va crescendo.
D'un argument de thriller basique, il extrait une réflexion passionnante sur la morale, notion qui circule librement d'une scène à l'autre sans se donner en pâture à l'approbation du spectateur. Plutôt que de juger, le film invite à questionner. Chemin faisant, la réalisation explore les mécanismes d'identification du public aux protagonistes, ce qui explique l'indifférence relative dans laquelle il peut nous plonger. Pour peu qu'on joue le jeu, l'œuvre stimule, secoue et captive en jouant peu sur la corde sensible, drôle d'exploit avec un tel pitch...
Si The Secret semble différent de ses deux précédents efforts, Pascal Laugier conserve une figure essentielle de son cinéma : le secret, justement, celui que l'on dissimule au sein d'un lieu a priori anodin. Dans Saint-Ange, les murs renfermaient une vérité dépassée en horreur par celle contenue dans les soubassements du décor de Martyrs. Ici, les faux-semblants jouent le double rôle d'enjeu et de révélateur, les maisons privées d'enfants de Cold Rock dépérissant peu à peu et détruisant ses victimes adultes.
Mais là encore, pas d'empathie facile, le public étant dans une position d'inconfort perpétuel. C'est en cela que The Secret est un film passionnant : il ne tend pas vers une forme d'ambigüité, il l'incarne, d'un bout à l'autre de son récit instable. Reste une question de taille : après un Saint-Ange assez classique dans son déroulement (et poliment ennuyeux à suivre), puis un Martyrs dont l'empathie pour ses héroïnes grimpait au maximum dès l'ouverture, pourquoi renverser la vapeur en demandant au public des réflexes inhabituels ?
Les intentions de Pascal Laugier, c'est encore lui qui les exprime le mieux. L'ayant rencontré avant une séance-débat autour de Martyrs le 2 Avril 2015, il a accepté de répondre à quelques questions sur ce dernier film. Bavard et passionné comme il l'est, la discussion s'est transformée en interview fleuve où il revient sur ses films et ceux des autres (David Robert Mitchell, M. Night Shyamalan, George Miller...) sans langue de bois aucune. Si la lecture vous tente, l'entretien a été publié dans la web revue L'Infini Détail.
Exercice narratif de 90mn et drame maternel à double tranchant, The Secret fait profil bas pour mieux s'accomplir, sa structure et sa logique étant intégralement pensés en fonction du public. C'est peu dire qu'une seconde vision est nécessaire pour mieux appréhender ce petit film mis en scène avec talent.