Vol avec escalier.
De Losey, je n’avais jusqu’alors vu que La Bête s’éveille qui était loin de me laisser un souvenir impérissable, et dans lequel on retrouve quelques éléments qui font de cet opus une version bien...
le 14 sept. 2015
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D’abord il y a le cadre, le décor qui tiendra lieu de scène quasi unique à ce huis-clos, une riche demeure londonienne dont l’aspect non entretenu veut déjà nous exposer la dépravation d’une certaine classe. Ensuite ce sont les personnages, un aristocrate au visage aussi angélique que mortifère, un domestique qui révélera peu à peu sa nature de prédateur et une maîtresse aux moeurs libérées et assumées. De cette équation, sommes toutes assez classique, il serait aisé de s’imaginer assister à une sorte de pièce de boulevard façon Feydeau, mais nous sommes devant une oeuvre de Losey et qui a déjà pu se familiariser avec les thèmes récurrents de son cinéma, saura instinctivement que très vite une critique au vitriol d’une certaine idée de la bourgeoisie, de la classe dominante, de la classe qui détient les moyens de productions et par voie de conséquences la position de dominants.
Baigné d’ombres funestes et ténébreuses qui m’ont évoquées l’atmosphère pesante dans le fond mais étrangement sublime malgré la noirceur qui se dégage de ces deux films, du chef d’oeuvre La Nuit du chasseur (1955), ce film nous dévore de l’intérieur, nous soumet à un malaise lancinant, car si le commentaire social qu’il dépeint est incisif et guère glorieux il a ceci d’à la fois irritant et questionnant, d’une certaine universalité à travers les époques y compris la notre qui parait avoir atteint une sorte de paroxysme dans la décadence morale de la bourgeoisie. Depuis que je l’ai vu, je ne peux m’empêcher d’avoir envie de l’inclure dans un dialogue avec le cinéma de Claude CHABROL, dans son postulat d’explorer les bas-fonds moraux de cette caste qui à l’image de l’empire romain à sa fin, n’est plus que bassesse et évocations réitérées « ad nauseum » d’une idée rancie et tenace de son passé.
La scène d’abord, cette bâtisse imposante à la structure horizontale, là pour nous symboliser par la propriété sa vision souhaitée et sa réalité dans la société d’une structure sociale horizontale et stratifiée, où la hiérarchie est arbitraire et les inégalités le fruit d’un système qui laisse peu d’occasions aux classes inférieures d’accéder aux classes supérieures, être bien né devient alors plus important que de vivre de façon honnête et j’entend « honnête » dans son acception morale. « The servant » grâce à sa richesse visuelle et son récit bâti comme un labyrinthe est brillant et surprenant.
La réalisation n’est austère qu’en apparence, elle dissimule en fait un trouble baroque, les jeux de miroirs en étant le meilleur argument en ce sens, miroirs déformants la réalité des protagonistes. Mais c’est surtout dans la direction artistique qu’il faut chercher les preuves de ce trouble. Piégés dans cette demeure, plus proche du fascisme que de la démocratie, dans une mise en scène méthodique et consciencieuse d’une maestria visuelle rare qui transcende les barrières tant physiques que symboliques, The Servant » en devient alors indubitablement une histoire de « vampirisation », d’anéantissement psychologique et moral d’un homme ancré presque malgré lui - victime de son propre monde - dans un moule sociétal en décrépitude, inapte à comprendre et détecter le caractère vénéneux et insatiable ou juste ambitieux à outrance de son valet dont il n’est fait aucun mystère pour le spectateur de ses sombres desseins. Le film malicieux nous les étudie longuement mais sous la loupe uniquement de cette relation stricte entre ce maître et ce domestique.
Mais cette relation sadomasochiste que finement mais sans équivoque la réalisation de Losey inclus dans un discours et un univers homosexuel, pas forcément assumé mais présent, j’en veux pour preuve les nombreuses symboliques phalliques qui émaillent les plans où les deux personnages sont dans le cadre, tandis qu’a contrario la sexualité de la femme et donc par ricochet celle hétérosexuelle selon les moeurs d’alors sont traitées de façon frontale et générique de la femme castatrice ou hyper sexualisée. La maman ou la putain dans l’Angleterre post victorienne. Et c’est quasiment dès l’introduction, dans un des tous premiers plans du film que ça nous est stipulé, lorsque le serviteur se retrouve pour la première fois face à son employeur et maître, celui-ci avachi dans son fauteuil, à la merci déjà de son vis à vis, déjà mort peut-être ou assez proche de trépas pour déjà intéresser les charognards qui planent au dessus comme l’est alors le servant.
Dirk BOGARDE atteint un sommet de cruauté inédit face à un homme médiocre malgré son pédigrée duquel il compte bien tirer tout le profit pour surtout prendre la place du dominant, une domination non pas dans la servitude mais dans qui a le dessus psychologique sur qui. C’est ainsi toute l’Angleterre puritaine qui se retrouve vilipendée par le film dont l’incarnation se fait à travers les apparences d’homme réduits à des marionnettes.
Indiscutablement un des grands films de Losey, je suis en train de découvrir sa filmographie et il me manque trop de films pour déterminer si c’est son plus grand, de façon nullement objective, il est de ceux que j’ai vu, celui qui m’a le plus passionné. J’y vois l’oeuvre d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens, s’autorisant dès lors une désinvolture qui confine à l’insolence dans l’image que j’ai du cinéma d’alors.
Joseph LOSEY, cinéaste de la perversité, compose un opéra gothique sur la toxicité des rapports humains, au seins d’un microcosme bourgeois à l’agonie. Une oeuvre au noir et blanc sublime, révélant toute la dégénérescence d’un ordre social évanoui.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de Joseph Losey, Ma collection personnelle par ordre chronologique, Les meilleurs films de 1963, TOP 250 FILMS et Les meilleurs films des années 1960
Créée
le 8 août 2022
Critique lue 17 fois
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