The Strangers fait l'effet d'une plongée en apnée. 2H40 de pression constante, où Na Hong-Jin ne relâche jamais son emprise sur le spectateur à mesure qu'il enfonce petit à petit une simple enquête policière dans des chemins tortueux. Au départ, rien de particulièrement surprenant pour les habitués du réalisateur des excellents The Chaser et The Murderer ou plus simplement pour les habitués du cinéma coréen: violence explicite, atmosphère glauque, humour un peu lourd. Le début du film semble flotter entre tragédie et comédie, prenant ainsi le temps de poser un décor qui va être furieusement ravagé passé la première heure du film.
Si le cinéma de Hong-Jin se caractérisait déjà dans ses deux premiers films par son ambiguïté morale et sa capacité à laisser derrière soi pas mal de tabous, The Strangers va encore plus loin. Le mal n'a que rarement été représentée avec une telle intensité au cinéma, tant celui-ci semble omni-présent dans chaque plan du film, s’immisçant jusque dans l'arrière plan de scènes à priori triviales. Rapidement, la croisade du personnage de Joon-Goo se trouble, perd tout son sens. En résulte un profond sentiment d'impuissance pour le spectateur: même si on croit tenir quelques minutes un début d'explication, Hong-Jin s'amuse constamment à les remettre en cause, multipliant les twists jusqu'à une dernière demi-heure d'anthologie, où le spectateur se retrouve plongé dans le doute, laissant une fois de plus la place à Hong-Jin de chambouler sa logique narrative pour délivrer une conclusion monstrueusement brillante de nihilisme.
Que subsiste t'il donc de ce The Strangers? Une impression au fond assez paradoxale, tant le film impressionne tant par sa grande maîtrise visuelle et narrative que par sa capacité à prendre les spectateurs par les tripes dans une expérience aussi difficile que profondément grandiose et admirable. Et à nous laisser bouche bée après 2h40 aussi éprouvantes que profondément jouissive, installant définitivement Na Hong-Jin au rang des grands cinéastes contemporains.