Dernier rejeton du très torturé Na Hong-Jin, The Strangers est une œuvre phénoménale. C'est le genre d'expérience visuelle, sensitive, auditive, olfactive, soyons fou, qu'on ne rencontre que très rarement au cinéma. Et pour cause un certain calibrage académique se répandant dans les productions filmiques comme une nuée d'insectes. Là où le modèle occidental peine bien souvent à se renouveler, connaissant ça et là quelques fulgurances bienvenues, l'ami d'extrême-orient sait piquer avec pertinence notre curiosité, nous faisant nous retrancher en des terres fortement inhospitalières. On pense à ces chefs-d’œuvres comme Old Boy, Memories of Murder ou encore The Chaser, premier long métrage du Hong-Jin, et on se dit qu'il y a encore de quoi nous satisfaire, nous autres pauvres petits spectateurs, avides de sensationnel, nous qui aimons craindre pour la vie de nos protagonistes, nous qui rejetons le puritanisme américain du héros survivant, ce prêcheur invétéré, ce faux-berger d'Oncle Sam.
The Strangers est difficilement racontable sans entrer plus en avant dans le mysticisme qu'il dégage aussi serons-nous bref. C'est aussi une façon pour ma part de vous préserver d'une partie de sa formidable et complexe essence scénaristique.
Dans un petit village de la campagne sud-coréenne, nous rencontrons Jong-Goo, un policier somme toute assez simplet, qu'on se plaît à suivre dans de bien étranges événements. En effet, lorsqu'un couple est retrouvé sauvagement assassiné à leur domicile, un vent d'horreur pluvieux plane sur nous. Petit à petit, tandis que les actes meurtriers se multiplient dans la région, le mystère s'épaissit. Qu'est-il en train d'arriver aux habitants ? Quel mal vient-il de pénétrer si ardemment ? Et surtout qui est véritablement ce Japonais, ayant élu domicile dans les bois, auquel on affuble d'effroyables rumeurs ?
A mille lieux des clichés du genre, The Strangers se place comme un électron libre fort peu soucieux d'apporter une morale satisfaisante à son public. Le film choisit plutôt de nous immerger dans cette culture dépaysante, jouant de nos acquis sur l'horreur, de nos prétentions face à lui dans un décalage parfaitement exécuté. Du décalage pouvant tirer quelques rires nerveux nous glissons sans mal dans d’insondables profondeurs, croisant rites et esprits, illusions et réalités. Nous sommes alors transportés dans un état intenable, oscillant entre l'effroi et l'envie ; cet effroi qui glace le sang d'un regard, cette envie malsaine qui nous dit qu'il en faut plus. Forcé de constater que nous en aurons plus, encore et toujours plus, contournant habilement le dégoûtant surplus de péripéties en nous baladant sans cesse jusqu'à nous faire perdre la raison.
The Strangers est pour moi une œuvre parfaitement aboutie. Le film n'est pas seulement très bon, ses plans ne sont pas seulement magnifiques, sa bande-son organique et sa tension aussi bien perpétuelle que génialissime, il émane de lui un charisme redoutable. Le palpitant lors d'une projection ne ment d'ailleurs jamais... L'esthétique c'est quelque chose, le scénario également, mais ici, tout se marie agréablement dans un mélange des genres horreurs et policiers du plus bel effet. Le film a une âme, une identité, des personnages compliqués mais surtout un cadre mystique qui, d'un silence, pousse nos rires à mourir. Du silence au vacarme le plus assourdissant nous voyageons loin...mais vers quoi ou plutôt qui ? Le Diable ?